La super hyper giga haute autorité pseudo indépendante des intertubes… c’est maintenant

Une véritable catastrophe pour Internet semble être en route. Matignon aurait demandé à Arnaud Montebourg, Aurélie Filippetti et Fleur Pellerin d’étudier les modalités d’un rapprochement entre le CSA et l’ARCEP, et probablement l’HADOPI également même s’il n’en est pas encore explicitement fait mention. Dans son communiqué, le Premier Ministre s’exprime en ces termes :

« Face à la convergence des infrastructures numériques, des services et des contenus qu’elles acheminent, des réseaux et des services fixes et mobiles, et des terminaux à l’usage du public, il est aujourd’hui essentiel de s’interroger sur l’efficacité des modes de régulation des communications électroniques et de l’audiovisuel, à l’heure où les contenus audiovisuels sont de plus en plus diffusés par l’internet fixe et mobile. En particulier, la diffusion des programmes audiovisuels acheminés par voie hertzienne est assortie d’une régulation des contenus destinée notamment à en assurer la qualité et la diversité, alors que les contenus diffusés via internet font l’objet d’une régulation plus limitée et parfois inadaptée« .

Internet, ce machin dont personne ne sait quoi faire

Ça ne fait jamais de mal de le répéter, Internet est un bien commun. En France cependant, aucun gouvernement n’a su lui attribuer la place qui lui convient. Internet a toujours été une dépendance plus ou moins directe du ministère des finances et du ministère de la culture. Internet, c’est une patate chaude. Reconnu par le conseil des sages comme un outil essentiel à l’exercice de la liberté d’expression. Aujourd’hui encore, le gouvernement au pouvoir ne voit en Internet qu’une sorte de vache à lait qu’il va bien falloir traire. Mais au lieu de traire la vache, ce dernier marque une obstination à traire le veau. Oui internaute, c’est bien de toi que je parle, c’est bien toi le veau… et on s’apprête à te traire. Pas financièrement, ça ce sera pour les Google, Youtube et autres gros consommateurs de bande passante. Du moins pas directement, car ça, c’est donner le feu vert aux FAI pour vous facturer l’utilisation de Google ou Youtube (en plus de celle d’Internet). Ne riez, pas ceci existe déjà dans les forfaits de téléphonie mobile. Mais il y a pire : c’est vos libertés que l’on va traire.

Les hautes autorités pseudos indépendantes

Commençons par les acteurs, ces « hautes autorités » vachement indépendantes et dépendant surtout des nomminations du président et de la majorité parlementaire en exercice. Pour le sujet qui nous anime aujourd’hui, elles ne sont pas deux, mais 4 (il y en a deux en embuscade) :

  • L’ARCEP, nous le savons, c’est le « gendarme des telecoms » dont le rôle aujourd’hui c’est surtout de demander chaque année aux fournisseurs d’accès Internet et aux opérateurs telecom « Alors ton réseau cette année il marche bien ?« . Une fois que l’opérateur lui a répondu « oui, ça fonctionne au poil« , l’ARCEP consigne dans son rapport annuel « l’Internet en France est le meilleur du monde, notre ADSL fonctionne tellement bien que personne ne veut passer au très haut débit« .
  • Le CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel) de son côté régule le « business des ressources rares ». Le CSA est en fait une sorte d’étiqueteur de rayon du supermarché des fréquences hertziennes, c’est tout de suite moins sexy que Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, mais en pratique, son boulot, c’est étiqueteur.
  • L’ANFR (l’Agence nationale des fréquences) : comme la technique et le CSA, ça fait 4, il faut bien une autorité qui sait de quoi elle cause. Une fois que le CSA a mis un prix sur une fréquence, techniquement, c’est l’ANFR qui les attribue et vérifie qu’on déborde pas sur les fréquences du voisin.
  • L’HADOPI : celle ci je ne vous ferai pas l’affront de vous la présenter. Pour résumer, nous nous arrêterons sur la définition suivante : « la machine à spam la plus chère de l’histoire d’Internet ».

Chronologie d’une catastrophe annoncée

Ce rapprochement entre entités de régulation est malsain à bien des égards mais il n’est pas nouveau. Je vous en parlais dans ces pages en 2010, mais ça date en fait de fin 2006.

19 décembre 2006 : le rapport parlementaire Blessig ouvre les hostilités en préconisant un rapprochement entre régulateurs. Les concernés sont le CSA, L’ARCEP, et l’ANFR. Déjà en 2006 l’argument était d’amorcer le virage de la convergence entre Internet, téléphonie et télévision. On ne pouvait à l’époque lui prêter de mauvaises intentions.

Cette idée fut vite récupérée à d’autres fins que la simple convergence vers laquelle tout le monde s’accorde. L’un des plus fervents partisans de cette incongruité n’était autre que Frédéric Lefèbvre… en soi déjà, ça a de quoi foutre la trouille quand on se souvient de sa conception assez particulière d’Internet.

24 Novembre 2008 : Frédéric Lefèbvre présente un cavalier législatif (un article additionnel qui n’a rien à voir avec la choucroute) dans une loi sur l’audiovisuel public. Il vise à Introduire un peu de CSA dans Internet. Il défend son point de vue en arguant d’une nécessité de ce rapprochement pour la protection de l’enfance. Il le fit en en ces termes :

« Un nombre important de services de communication au public en ligne propose des contenus audiovisuels. Néanmoins, seuls les services de télévision et de radio ainsi que, grâce à la présente loi, les services de médias audiovisuels à la demande, offrent de réelles garanties en matière de protection de l’enfance et de respect de la dignité de la personne, grâce à la régulation du Conseil supérieur de l‘audiovisuel (CSA), qui dispose d’une vaste expérience dans ce domaine. »

« Il est donc proposé d’assurer, selon des modalités adaptées au monde de l’internet, la protection des mineurs par les autres services en ligne qui fournissent, dans un but commercial, des contenus audiovisuels à la demande. Cette protection doit être assurée notamment sur les sites de partages de vidéo dès lors que l’éditeur du service assure lui-même un agencement éditorial des contenus générés par les internautes. Ces modalités feront largement appel à l’auto-régulation. Le CSA pourra, après une large concertation avec les acteurs concernés, élaborer une charte de protection de l’enfance sur ces services et délivrer des labels à ceux d’entre eux qui la respecteront. Afin d’assurer l’efficacité de ce dispositif, il sera demandé que les logiciels de contrôle parental que les fournisseurs d’accès à internet doivent proposer à leurs abonnés, en application de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, soient en mesure de reconnaître ces labels pour filtrer – si les parents le souhaitent – les sites qui n’en possèdent pas. »(…)

« Par ailleurs, il est proposé, par souci de cohérence et d’équité, que les services mentionnés ci-dessus, qui pourraient être définis comme des « services audiovisuels de partage et de complément », participent également au financement de la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles dès lors qu’ils font concurrence aux autres services audiovisuels à la demande qui contribuent à ce financement. »

Décembre 2008  : Manque de bol, la protection de l’enfance n’avait su trouver une oreille assez attentive, le Frédéric passe donc la seconde… en fait non, il passe direct en cinquième avec nos fameux violeurs psychopathes nazis proxénètes qui planquent des médicaments contrefaits dans les armes  (à cette époque Frédéric nourri des ambitions autres que celle de député par concours de circonstance). Il revient donc à la charge avec sa fameuse tirade :

« La mafia s’est toujours développée là ou l’État était absent ; de même, les trafiquants d’armes, de médicaments ou d’objets volés et les proxénètes ont trouvé refuge sur Internet, et les psychopathes, les violeurs, les racistes et les voleurs y ont fait leur nid  » .

Et d’enfoncer le clou pour aller dans le sens d’une « régulation » :

« L’absence de régulation du Net provoque chaque jour des victimes ! Combien faudra-t-il de jeunes filles violées pour que les autorités réagissent ? Combien faudra-t-il de morts suite à l’absorption de faux médicaments ? Combien faudra-t-il d’adolescents manipulés ? Combien faudra-t-il de bombes artisanales explosant aux quatre coins du monde ? Combien faudra-t-il de créateurs ruinés par le pillage de leurs œuvres ? Il est temps, mes chers collègues, que se réunisse un G20 du Net qui décide de réguler ce mode de communication moderne envahi par toutes les mafias du monde  ».

Le Frédéric, il avait bien envie de te le réguler ton Internet, de te le civiliser même. La mafia, les psychopathes, les violeurs, les pédophiles, les terroristes… si avec ça tu veux pas que je te régule, « comment comment veux-tu que je t’#@!%$ule ?  ».

Mi-Janvier 2011 : Eric Besson reprend la patate chaude d’Internet de l’économie Numérique, un ex-secrétariat d’Etat noyé quelque part entre le ministère de la culture et Bercy. Il émet alors une fausse nouvelle idée en ajoutant une autre autorité, il s’agit maintenant de fusionner non pas deux mais 3 hautes autorités : l’ARCEP, le CSA et l’ANFR… comme en 2006. Sacré Éric, et avec ça il a voulu nous faire croire qu’il bossait. Bon ok, il a un peu plus bossé que NKM en demandant l’interdiction d’héberger Wikileaks en France (Eric Besson échoue avec un certain succès, puisqu’en 2012, la France a finit avec grand mal à dépasser la Roumanie en taux de pénétration du THD (très haut débit).

Avril 2012 : Michel Boyon, président du CSA, nous explique sa conception d’un Internet régulé à la sauce CSA, et il pue son Internet, il n’est pas que régulé, il est surtout fiscalisé. Il l’exprime en ces termes :

« on ne pourra pas indéfiniment faire coexister un secteur régulé, celui de l’audiovisuel, et un secteur non régulé, celui d’Internet  »

Pour lui la convergence est un danger et seul le CSA pourra voler au secours des chaines de télévision car le développement des téléviseurs connectés, toujours selon ses propos, créent :

« une menace pour l’équilibre économique des chaînes  ».

Une fois de plus, on sent bien qu’il n’est plus question de « régulation » mais de fiscalisation. Le CSA son truc à lui c’est les pépettes rien que les pépettes et tout pour les pépettes.

Ensuite, un ange passe, Internet fait la fête, François Hollande est élu, on se dit qu’HADOPI du Fouquet’s c’est bientôt terminé, que la Neutralité du Net sera bientôt inscrite dans la loi… bande de gros naifs.

Début juillet 2012 : Après la fête, la gueule de bois… Aurélie Filippetti sur RTL émettait l’idée d’une extension de redevance sur l’audiovisuel public aux écrans d’ordinateurs ! Taxer un support matériel d’accès indispensable à Internet au lieu de taxer les bidules box des FAI qui donnent accès à cet « audiovisuel public »… déjà, ça ne sentait pas bon du tout. Le projet se fait plus précis, le gouvernement veut taxer Internet, la convergence média n’est en fait qu’une convergence fiscale déguisée.

Mi-juillet 2012 : sur Reflets je tentais d’expliquer pourquoi un tel rapprochement était une erreur incommensurable guidée par un appétit fiscal au risque de dynamiter un bien et un intérêt commun.  Au final, ni l’État, ni les entreprises qui pensent « être Internet », ni les internautes qui le sont vraiment (Internet), on t quelque chose à y gagner.

22 juillet 2012 : toujours sur Reflets, cette fois, c’est Fleur Pellerin qui annonce la mise à mort de la neutralité du Net, pour elle, ce machin est un concept bien américain fabriqué de toutes pièces pour favoriser les américains. Ça a mis du monde en colère chez nous, Fabrice Epelboin en tête.

Un rapprochement qui s’appuie sur deux erreurs techniques

L’argument principal d’un tel rapprochement, c’est ce qu’on appelle la convergence. Entendez convergence du média des médias Internet avec les média télévision, radio ou tout ce qui peut être allègrement taxé usuellement mais que l’on a beaucoup de mal à taxer sur Internet.

Internet ne converge pas, il est, avec sa neutralité, la condition indispensable à toute convergence.

La première erreur, c’est la définition que l’on pose sur le terme « convergence » appliqué à Internet. Ce que l’on appelle convergence chez quelques technocrates, les techniciens eux, appellent ça une absorption. Le terme est d’ailleur mal choisi, mais Internet est devenu la glue, le réceptacle de ces médias. Il offre des ressources non rares, ces mêmes ressources autrefois rares, qui en d’autres temps, justifiaient l’existence d’une autorité comme le CSA. Il faut bien comprendre que les ressources rares sur Internet, comme l’attribution d’une fréquence hertzienne, ça n’existe pas… Sur Internet, les ressources rares, ce sont des noms de domaines et des blocs IP comme je l’expliquais ici. Mais là encore, ce n’est surement pas au CSA de les gérer, c’est des jouets pour les grands ça, pas pour un étiqueteur de supermarché. Les ressources rares d’Internet ont un truc bien à elles qui est génial :  quand il n’y en a plus et bien il y en a encore.

La seconde erreur (en rapport avec la première à cause des ressources rares) c’est une incompréhension technique de ce qui rentre et qui sort d’un tuyau et qui tient en deux notions : le broadcast et le multicast.

Le broadcast, c’est comme ça qu’un fourniseur d’accès à Internet vous vend de la VOD ou vous propose 4 fluxs HD simultannés. Le FAI émet, l’internaute reçoit, point final. Le FAI appelle ça pudiquement un service géré, un internaute averti appellera ça du minitel en 16 millions de couleurs.

Le multicast, c’est un peu plus fin, c’est la définition même d’Internet, dans lequel chaque Internaute peut recevoir ce qu’il demande à Google, Bing, Yahoo, Bittorrent ou Usenet ce qu’il SOUHAITE et non ce que son FAI lui PROPOSE DE CONSOMMER MOYENNANT FINANCES. Seconde subtilité, notre internaute qui fait de l’IP multicast comme monsieur Jourdain fait de la prose, il peut aussi et surtout émettre des données. Et oui, ça complexifie la donne de la régulation de comprendre qu’il y a en Internet le moyen de broadcaster en basant sur un réseau par définition multicast. Il y a aussi une difficulté à comprendre qu’en IP, sur notre Internet « moderne », le broadcast dépend du multicast.

Notre nouvelle autorité aura donc pour rôle de réguler quoi au juste s’il n’y a pas de ressources rares à réguler ?

La réponse est dramatiquement simple : elle va réguler les contenus, les contenus que VOUS produisez, que NOUS produisons. Cette autorité ne va pas réguler des entreprises qui seront autant de netgoinfres à l’affut du moindre brevet pour s’accaparer commercialement un bout d’Internet, cette autorité, elle va NOUS réguler.

Fiscalisation, protection de la propriété intellectuelle et protection de l’enfance sont les trois nouvelles mamelles de la surveillance du Net

La protection de l’enfance, c’est le cyber cheval de bataille du CSA. L’autorité est d’ailleurs parfaitement claire sur la question, elle s’est maintes fois prononcée pour une labellisation des sites web, et même, IMPOSER le FILTRAGE de sites non labellisés ! On voudrait tuer Internet en France qu’on ne pourrait pas mieux s’y prendre. Fusionner ARCEP, CSA, ANFR, HADOPI, et pourquoi pas la SPA ? (Internet est plein de zoophiles!).

Ramener Internet, un bien commun, sur lequel nul gouvernement, nulle entreprise n’a de droit de cuissage, à un nouvel eldorado fiscal, est probablement la plus belle escroquerie intellectuelle que les politiques peuvent jouer aux internautes.

Il ne viendrait pas à l’idée du gouvernement de créer une haute autorité de régulation de l’air que nous respirons, c’est pourtant bien ce qu’il s’apprête à faire avec Internet. La première escarmouche gouvernementale sur le terrain fiscal, c’est ce qu’annonçait Aurelie Filippetti en voulant étendre la redevance sur l’audiovisuel public aux écrans d’ordinateurs. Il ne lui serait pas par exemple passé par la tête l’idée de renforcer la fiscalisation des biens culturels vendus par les fournisseurs d’accès Internet qui par ce biais menacent en permanence la notion de neutralité du Net, une notion qui est un dû aux internautes et non une option comme certains aiment à tenter de nous le faire gober… oui Orange, c’est bien de toi que je parle.

Une autorité de régulation des médias sur Internet, c’est un peu comme si on créait une autorité de régulation de la presse. Quel rôle positif pourrait jouer une telle autorité ? Aucun. Son rôle est exclusivement fiscal. Cette fiscalisation va permettre la petite mort en France de la Neutralité du Net. Les industriels n’auront plus qu’à se partager le gâteau sous la bienveillante connivance de cette nouvelle super hyper giga haute autorité pseudo indépendante.

– « Et alors ? Ça va me coûter combien mon truc gratuit ? »
– « Oh trois fois rien, juste ta liberté d’expression »

Fiscal ? Vous avez dit juste fiscal ? Oui… enfin… pour le moment. Vous vous doutez bien qu’en embuscade se cache l’HADOPI et surtout, les moines copistes de DVD et tous les adorateurs de saint-copyright. Concentrer tous les pouvoirs dans une seule autorité pseudo indépendante qui mettra le paquet sur la chasse aux téléchargeurs de MP3 ? « Jamais » vous dira un gouvernement socialiste (quoi que)… mais que se passera t-il au prochain changement de majorité ? Et bien le gouvernement socialiste aura créé malgré lui (ou pas) un splendide outil de surveillance et de censure d’Internet dont il remettra les clés à ces moines copistes de DVD.

Ce genre de rapprochement, c’est une idée vraiment lumineuse, surtout quand on sait comment sont constitués nommés les collèges de ces autorités.

 

La super méga Haute Autorité Indépendante de l’Internet civilisé

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CC by Fabrice Epelboin

On se doutait bien que qu’avec toutes ces créations d’autorités indépendantes, au bout d’un moment, on allait chercher à les concentrer afin d’en absorber certaines, dans le but d’arriver plus rapidement aux objectifs fixés, en 2007, par l’Elysée. Dans cette jungle nouvelle des autorités administratives indépendantes, il y en a deux assez particulières, la HADOPI (Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet) que l’on présente plus, et l’ARJEL (Autorité de Régulation des Jeux en Ligne) qui a voulu instituer en France le blocage des sites web sans juge. Les deux autorités portent sur des contenus et services en ligne, certains verront donc une certaine cohérence à les unifier en une seule et même autorité indépendante puisqu’il est entendu qu’à terme, elles utiliseront les mêmes armes (outils de reconnaissance de contenus et blocage et filtrage de sites… DPI, BGP, mouchards filtrants, bref tous les outils indispensables pour civiliser Internet). Voir s’unifier HADOPI et ARJEL vous parait impossible, pas à l’ordre du jour ? Dangereux ? Attendez, c’est après qu’on se mange un vrai coup de civilitude

On va bien te civiliser

Et c’est là qu’intervient un bon gros rapport parlementaire relatif aux autorités administratives indépendantes, oeuvre du Comité d’évalution et de contrôle des politiques publiques, porté  par les députés Christian Vanneste (UMP) et René Dosière (PS). Dans ce rapport, les députés concluent à un nombre trop important d’ Autorités Indépendantes. A la page 27, on apprend que ce sont 40 autorités indépendantes qui ont été créées en France depuis l’apparition de la CNIL en 1978, avec une nette accélération des créations de ces autorités administratives la décennie passée avec en moyenne, une création par an.

Bien entendu, ce rapport ne pouvait passer à côté du cas HADOPI. Mais loin d’en venir à mes conclusions déjà alarmistes au sujet d’un rapprochement ARJEL/HADOPI, le rapport préconise carrément un rapprochement entre l’HADOPI, l’ARCEP et le CSA ! Le parfait comité de censure de la République, un seul pour les gouverner tous, les réseaux, les contenus, les servicesT’es bien civilisé là toi l’internaute non ? On commence en page 54 à aborder le problème HADOPI, un rappel de l’épisode constitutionnel, puis page 77 on trouve une perle, dans laquelle les députés s’intérogent sur la justification de l’existence de l’HADOPI :

« Dans ce contexte les rapporteurs s’interrogent sur la justification del’existence de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection desdroits sur Internet (HADOPI). Il s’agit une fois de plus d’une réponse ponctuelle à un problème spécifique. Certes la création d’une nouvelle autorité indépendante chargée de surveiller le respect des droits et de lutter contre le piratage jouit d’une visibilité maximale pour les auteurs. Mais on peut se demander pourquoil’ARCEP, chargée de réguler les communications électroniques, dont fait partiel’Internet, ne pourrait pas en être chargée. A contrario, les difficultés rencontrées par la HADOPI sont patentes : l’envoi des premières lettres d’avertissements a été retardé de semaine en semaine ; un des principaux fournisseurs d’accès, Free, a annoncé publiquement qu’il ne souhaitait pas relayer les messages d’avertissement auprès de ses abonnés… Les rapporteurs sont donc d’avis d’intégrer la HADOPI dans l’autorité qui remplacera à la fois le CSA et l’ARCEP.(…) Les rapporteurs sont donc d’avis d’intégrer la HADOPI dans l’autorité qui remplacera à la fois le CSA et l’ARCEP ».  La date du passage à la TNT est même envisagée le 30 novembre 2011.

Ce rapport ne semble pourtant pas animé de mauvaises intentions, il invite même à un rapprochement de cette super méga haute autorité super indépendante à travailler de concert avec l’association le Forum des Droits de l’Internet, c’est bien tenté mais cette dernière semble appelée à mourir très prochainement. Mais les deux rapporteurs sont  à mon sens loin de se douter du monstre mutant à 4 têtes qu’ils sont en train de fabriquer. Pire, cette conclusion pourrait être très exactement ce qu’attendait l’Elysée, souvenez vous par exemple de Frédéric Lefèbvre en train de plaider pour confier Internet au CSA, CSA que l’on retrouvait par exemple au colloque de l’ARCEP sur la neutralité des réseaux… la labellisation des sites web, ça ne vous rappelle rien ? Pourtant on en avait parlé pour HADOPI… Même Christine était d’accord… et ça remonte à 2008 ! Votre site sera labellisé par l’Etat, avec une cocarde « presse », « culture », « blog d’emmerdeur »… sympa non ? Je vous sens tout civilisés là…

L’erreur de cette proposition se situe vraiment au niveau de ce que le législateur, sous pression de l’Elysée, a voté sans aucun moment se rendre compte de ce qu’il avait engendré. Jamais le spectre d’un big brother sur le Net français n’aura autant planné. Tout est en place, tous les outils de la censure sont là, unifier tout ce petit monde, leurs armes, et leur champs d’applications (services, réseaux, contenus), c’est créer quelque chose de dangereux et de… suspect. Je n’ai pas la compétence de juger pour les cas des autres autorités administratives, du bien fondé de démarches de rapprochements, mais sur le volet Internet, je ne saurais trop mettre en garde messieurs Vanneste et Dosière sur une fausse bonne nouvelle idée, qui serait de confier Internet, qui n’a toujours pas de ministère, à un monstre contre nature disposant du corpus législatif (HADOPI, LOPPSI, ARJEL, DADVSI …) et des outils (blocage/filtrage des sites, labellisation, spectre du mouchard, contravention pour négligence caractérisée,  double/triple peine, … ).

Il est beau votre Internet civilisé… mais tout ceci est bien trop administratif et pseudo indépendant pour qu’Internet reste un réseau neutre et ouvert.

Neutralité du Net : Orange, je te vois !

Un petit billet pour rebondir sur l’analyse du rapport gouvernemental sur la Neutralité du Net par Fabrice dans Read Write Web. On se demande effectivement qui est l’auteur du rapport, j’ai personnellement beaucoup de mal à penser qu’il est l’oeuvre du cabinet de Nathalie Kosciusko-Morizet. On ne peut s’empêcher de constater que les positions exposées dans ce rapport sont celle d’Orange. Ceci expliquerait par exemple qu’il soit si bancal. Si vous n’êtes pas convaincus, la seule mention d’un « internet ouvert » que l’on oppose dans ce rapport à un Internet neutre, c’est un copyright Orange. D’ailleurs, quand on revisionne la vidéo de l’ARCEP, c’est bien Stéphane Richard qui « préfère la définition d’Internet ouvert«  et il s’en explique.

Stéphane Richard confessera d’ailleurs qu’il n’y comprend pas grand chose et mettra en avant « la fraicheur de son regard » :  « je ne suis pas un vieux manitou des Télécoms« . Il expliquera aussi que le rôle essentiel d’un opérateur télécom, c’est avant tout la gestion du traffic « sans quoi c’est la fin d’Internet »… ben voyons !

Bref en revoyant cette vidéo, vous avez un condensé du rapport soit disant gouvernemental sur la neutralité du Net. C’est à dire un papier d’amateur level newbie et fier de l’être qui se sent investi d’une mission que personne ne lui a confié, à savoir réguler au lieu d’acheminer.

En tout cas un doute sérieux plane sur ce rapport : par qui a t-il été rédigé et dans quel but ?

FDN répond à la consultation publique de l’ARCEP sur la neutralité du Net

C’est dans un document PDF de six pages que FDN, le plus vieux fournisseur d’accès à Internet français, développe ses réponses à la consultation publique de l’ARCEP sur la neutralité du Net. Il est aussi vivement recommandé de lire la réponse longue de FDN, particulièrement riche en arguments, les commentaires pour certains très savants sont également une bien saine lecture dont vous auriez tort de vous priver.

Dans un premier temps, FDN souligne la qualité du travail réalisé par l’ARCEP et la pertinence de ses définitions « En particulier, la définition d’Internet, d’un accès à Internet, et d’un fournisseur d’accès à Internet, les notes sur les risques économiques ou liés au droit de la consommation, et la présentation d’ensemble du problème » sont à saluer. FDN souligne que les opérateurs mobiles ont du mouron à se faire et que vendre de « l’Internet illimité » risque d’être plus compliqué si l’on s’en tien aux définitions de l’Internet par le gendarme des télécoms. Un peu plus loin dans ce document, FDN souligne qu’il ne s’agit ni plus ni moins de publicité mensongère.

Concernant la gestion du trafic, FDN revient sur l’opportunité intéressante que présentent les échanges P2P : « L’utilisation de services comme les CDNs, ou comme la propagation par inondation en P2P peut permettre de rendre cette croissance essentiellement déportée, induisant une hausse de trafic sur les parties capilaires du réseau, sans surcharger les interconnexions entre grands opérateurs. » Ça parait d’une logique imparable et pourtant, exception culturelle française, ce sont ces échanges que l’on criminalise et que des outils de pseudo sécurisation tentent de brider. La centralisation des contenus (ou minitellisation de l’Internet) profite à beaucoup d’opérateurs qui poussent encore le vice, en 2010, jusqu’à interdire à leurs abonnés de faire tourner un serveur web ou un serveur de mails sur leur connexion domestique (Interdire aux utilisateurs de faire de l’Internet, c’est une idée particulièrement brillante quand on est fournisseur d’accès à Internet).

FDN revient ensuite sur la fondamentaux que l’ARCEP a un peu occulté : la liberté d’expression est selon FDN un élément du débat sur lequel il n’est pas possible de faire l’impasse : « Ainsi, pour juger de la gravité d’une atteinte à la neutralité du réseau (cette atteinte étant bien constatée par l’ARCEP), on ne peut pas éluder la question des libertés fondamentales. »

Sur la seconde orientation, FDN s’oppose de manière formelle à la création d’offres commerciales visant à prioritariser le trafic. Cette pratique est effectivement par définition une atteinte  importante à la neutralité du Net et il est important que ces manipulations restent un moyen ponctuel de gérer des congestions sur le réseau.

Concernant la quatrième orientation, FDN déplore que rien n’assure que le jeux de la libre concurrence sur les réseaux fibrés sera garanti, l’enjeux pour l’accès aux boucles locales est pourtant particulièrement important : « Selon nous, tout opérateur d’une boucle locale fibre devrait, par défaut, être considéré comme en position dominante localement au marché défini par sa boucle locale, et donc se voir imposer la publication d’offres de référence pilotées par les coûts, tant en matière de dégroupage physique qu’en matière de bitstream. »

À propos de la cinquième orientation, FDN revient entre autres sur les politiques de peering des opérateurs, considérées à juste titres comme très discriminantes puisque ces derniers imposent un volume de trafic minimum pour accepter une interconnexion (ce qui est en soi assez stupide et bride de fait le jeux de la concurrence).

Enfin, sur le sixième considérant, FDN souligne un petit paradoxe de cette consultation concernant les diverses mesures de filtrages : « Et il nous semble étrange de demander aux opérateurs de préciser par écrit en quoi ils contreviennent à leurs obligations légales et réglementaires… » FDN plaide ici en faveur d’offres comerciales permettant de répondre à des sur consommation ponctuelles, mais en observant un tarif raisonnable et cohérent. Cette logique, FDN la pratique depuis 18 ans avec succès « le règlement intérieur de l’association prévoit-il explicitement la notion de sur-consommation, sous la forme d’usages entraînant un surcoût pour l’association. Et le règlement intérieur propose deux pistes pour l’abonné : soit cesser cet usage à la première injonction du surcoût engendré, soit assumer ce surcoût« .

En conclusion, on peut considérer que le point noir de cette consultation reste la définition de la licéité des contenus et du rôle que le fournisseur d’accès, pourrait avoir à gérer, dans un futur proche. C’est d’ailleurs en ce sens que ces derniers s’arment lourdement. C’est bien ceci qui risque de nous conduire à une situation assez nauséabonde de « quasi neutralité » où les fournisseurs d’accès sont aussi des fournisseurs de contenus et des gendarmes du Net qui faussera la concurrence à la base et s’essuiera les pieds sur la neutralité du Net

Net Neutrality : Suite et fin de la réunion d’anciens combattants de la guerre de 3615

Reprise des débat un peu lente cette après-midi pour le colloque Net Neutrality de l’ARCEP. Bien moins animé que ce matin à l’exception de quelques interventions assez marquantes :

Celle de Maxime Lombardini qui n’aura pas manqué d’être l’occasion de quelques tweets acides sur le patron d’Iliad/Free et d’une pique d’Hervé Le Borgne (vice président de l’UFC Que Choisir) à qui on aura reproché d’être un peu misérabiliste se plaignant de taxes d’une fiscalité d’exception… et il n’a pourtant pas tout à fait tort (Taxes pour compenser la publicité sur les chaines du service public, taxe CNC, …). Outre ceci Maxime Lombardini a réaffirmé son opposition au rôle de gendarme que le gouvernement veut faire jouer aux FAI et s’est offert l’HADOPI en long en large et en travers, c’était particulièrement drôle, le patron d’Iliad n’a pas mâché ses mots, se raillant ouvertement d’une HADOPI bien loin d’être en mesure d’envoyer ses premiers emails d’avertissement. Autre information : aucun fond n’a encore été débloqué pour la mise en place des dispositifs, et Iliad n’est pas prêt de concéder la moindre avance … HADOPI, c’est donc pour 2012.

Et c’est justement avec le représentant de l’HADOPI, Jean Musitelli, qui nous a lâché un splendide et rogardien « La neutralité ne peut pas être l’alibi de l’illégalité« , que le débat a touché le fond et s’est transformé en réunion d’anciens combatants de la guerre du 3615, soutenu dans le débat suivant par le représentant du CSA à la recherche d’une légitimité nouvelle sur Internet. Légitimité qui à n’en pas douter sera appuyée par le gouvernement … il ne reste plus qu’à lui trouver un rôle.

Et c’est bien là la conclusion, beaucoup de choses se sont dites et on a de quoi avoir assez peur de ce qui risque d’en sortir une fois passé devant le Parlement. Plusieurs fois évoquée la notion d’Internet « Premium » me fait froid dans le dos, des intervenants n’ayant de cesse de faire des parallèles stupides avec le réseau routier et confondant le réseau avec leur voiture ! Peut-être garderons nous en tête que la publicité mensongère de l’Internet mobile illimité est en train de vivre ses dernières heures.

Ce colloque me laisse un arrière gout de frustration, comme si le gouvernement avait lancé une consultation pour poser des question auxquelles il a déjà des réponses et qu’il imposera : une régulation du réseau, une régulation des régulateurs et une Net Neutrality vidée de son sens. Evoqué également, cette transparence à laquelle peu de spécialistes peuvent croire, tant sur l’interconnexion que les dispositifs de régulation de trafic. La régulation amputera de fait des briques de réseau, car ce colloque a fait la monumentale erreur de convier moines copistes de DVD et anciens combattants de la guerre du 3615 avec leur conception toute particulière d’un réseau qu’ils ont de leur aveux du mal à définir.

Petits moments de réconfort tout de même pendant les interventions Catherine Trauttman et du sénateur Bruno Retailleau, brillant, maîtrisant bien son sujet et déclarant par exemple que « la liberté de choix est constitutive d’Internet » ou encore « La net Neutralité ne doit pas être négociable ».

Le Parlement a maintenant du pain sur la planche, il devra organiser la régulation, un rapport lui sera remis fin juin, espérons qu’il n’en profitera pas pour faire passer l’inacceptable pendant que les parlementaires seront en vacances.

A lire sur PCInpact « Milice moi tranquille« 

Colloque ARCEP sur la Net Neutrality

Aujourd’hui se tient le Colloque Net Neutrality de l’ARCEP. Les deux premières tables d’intervenants de ce matin étaient fort instructives. Ca va du très mauvais à l’excellent comme on s’y attendait. Passons tout de suite aux choses intéressantes. La seconde table ronde réunissait :

  • Stéphane RICHARD directeur-général de France Telecom
  • Benjamin BAYART président de French Data Network
  • Emmanuel FOREST vice-président et directeur général délégué de Bouygues Télécom
  • Matthew KIRK directeur des affaires publiques de Vodafone (Royaume-Uni)
  • Martin ROGARD directeur France de Dailymotion
  • Richard WHITT directeur des relations institutionnelles de Google monde (Etats-Unis)

Il y a eu deux temps forts :

Le premier étant comme on l’attendait l’intervention de Benjamin Bayart qui a lâché un pavé d’ampleur constitutionnelle en déclarant en réponse à l’intervention de Richard WHITT et surtout en réponse à  Winston MAXWELL avocat et lobbyste du copyright qui participait à la table ronde précédente : « La liberté d’expression est essentiellement en France un produit d’exportation« . Winston MAXWELL avait précédemment déclaré qu’aux USA, les débats sur la liberté d’expression passaient au second plan.

Second temps fort : l’intervention de Nathalie Kosciusko-Morizet, elle aussi attendue (et qui est arrivée fort en retard loupant la première partie des débats), déclarant que les internautes devaient accéder librement aux contenus « légaux ». Seul problème, pour qualifier sur un réseau un octet de légal ou pas, il faut mettre en place des mesures de filtrage, et plus particulièrement une technologie : le DPI (Deep Packet Inspection). Il y a donc un grand risque de voir cette technologie revenir dans les débats du parlement car NKM ne s’est pas cachée du fait que se colloque servirait au gouvernement à légiférer sur la neutralité des réseaux. On notera en revanche que NKM a réaffirmé son attachement à une neutralité au niveau des acteurs et met le doigt sur le développement vertical des acteurs du réseau.

Il s’agit, qu’on le veuille ou non d’une atteinte au fondement de la neutralité du Net : on a jamais demandé à la Poste d’achemenier uniquement des lettres « légales » car ceci impliquerait qu’elle ouvre le courrier des correspondants. Pourquoi accepter sur Net ce que nous n’accepterions jamais dans la vie réelle ?

Enfin, dernier point, je m’interroge sur la signification de la présence physique des membres de la HADOPI dans ce débat. J’y vois comme un très mauvais signal.

Suite des débats à 14h30, vous pouvez les suivre ici.

Neutralité du Net + Pascal Rogard® (SACD©) = ☠

Toujours suite à cette magnifique série d’interviews réalisée par l’ARCEP, en voici une qui a de quoi faire bondir n’importe qui. Même sans être internaute ou pire, « absolutiste de l’Internet » pour reprendre l’expression de Frédéric Mitterrand, on sent que Pascal Rogard s’empêtre dans le schéma désormais devenu un classique : celui du moine copiste de DVD Vs les internautes qui sont tous des voleurs et qui tuent des artistes … même s’il n’est toujours pas fichu de nous communiquer une étude sérieuse sur le sujet… vu que les études sérieuses et de sources indépendantes disent exactement le contraire… Même s’il ne veut pas entendre parler d’étude d’impact faisant le bilan de la débilité de la politique menée jusque là, j’ai nommé les DRM.

Avant toute chose, histoire de ne pas me qualifier de pirate absolutiste anonyme travestissant les propos de personnes de super bonne foi, je vous demanderais de visualiser avec attention cette vidéo.

On commence en plongeant directement dans la caricature grotesque, histoire de ne pas perdre de temps et de poser des bases solides à ce qui va suivre : «il y a ceux qui disent que tout doit circuler librement et qu’Internet est une zone de non droit». Ah… voici une première information interessante sur la perception que Pascal Rogard a du Net… Depuis quand la libre circulation de l’information fait d’Internet une zone de non droit ? La liberté d’expression fait-elle d’une démocratie une zone de non droit ? La libre circulation des personnes a t-elle fait de l’Europe une zone de non droit ? La vision de Pascal Rogard sur ce point me laisse pantois. Comment une personne d’apparence si instruite peut elle faire ce genre d’amalgame pitoyable ?

Maintenant que le ton est donné, tout y passe, à commencer par la plus grosse énormité que j’ai pu relever jusque là dans cette excellente série d’interviews de l’ARCEP: «le Net est destructeur de valeur pour la création». Comme je sais par ailleurs que Pascal Rogard est tout sauf un imbécile, on va mettre ça sur le compte d’un bon mot, d’une phrase choc, directement à destination des pouvoirs publics dont il abuse allègrement de l’e-gnorance pour obtenir le beurre, l’argent du beurre (pour ça c’est déjà dans la poche), et maintenant le cul de la crémière. Pour répondre simplement à Monsieur Rogard, je lui signifierais quelque chose qu’il sait parfaitement : si dans 2 ans son business n’est pas sur Net, c’est qu’il est appelé à mourir. Ne croyez pas ceux qui vous disent que mourir n’est pas facile. On notera également l’aberration économique qui est la confusion (volontaire) entre la notion de valeur et de profit financier… ou alors il faut m’expliquer par quelle loi anti-gravitationnelle un téléchargement d’oeuvre parvient à en réduire sa valeur. Parlons justement profit financier, comment les sociétés de gestion collective comptent expliquer ceci. C’est assez facile de crier à la crise à cause de l’Internet, de virer des salariés, et de s’octroyer de substantielles augmentations … c’est de la faute d’Internet ça aussi ? Ou c’était juste de petites augmentations pour fêter Hadopi ? J’y vois comme un certain contraste quand Pascal Rogard dit défendre la création … et les créateurs.

Puis, histoire de bien prouver à tout le monde qu’il ne sait pas de quoi il parle, Pascal Rogard affirme que : «non je n’ai pas de définition de la Net Neutralité, par contre je sais que la Net Neutralité ça peut pas être la Net impunité». Ca c’est la seconde phrase choc ! A traduire par « ce n’est pas parce que je ne sais pas de quoi on parle que je n’ai rien à dire ».

Sur la question des enjeux du débat : Pascal Rogard découvre le Net «le centre de la valeur sur Internet n’est ni chez les réseaux, ni chez les créateurs»… là encore pour répondre simplement à Monsieur Rogard, s’il y avait une centralisation de la valeur sur Internet, on appellerait ça le minitel. Internet, acentré, valeur aux extrémités du réseau, … Benjamin Bayart explique ça très bien, il serait de bon ton que Monsieur Rogard s‘instruise une petite heure pour éviter de dire ce genre d’ineptie.

Ensuite, on retrouve une idée que tout le monde s’étonnait d’entendre de la bouche de Nicolas Sarkozy : «c’est pour ça que par exemple je vais proposer la mise en place d’une taxe sur des entreprises qui font de la recherche et que je trouve que ces gens là ont beaucoup de ressources et financent peu la création» … Si besoin en était, on sait maintenant qui bourre le mou présidentiel … Pascal Rogard oublie un léger détail, il n’est pas élu de la République, il n’a donc rien à proposer en matière fiscale.

Pascal Rogard nous fait ensuite la splendide démonstration Myardienne, de manière fort habile, qu’Internet c’est le mal. Car vous ne le saviez peut être pas mais Pascal Rogard milite « en faveur de la protection de la vie privée« , et son Internet à lui, comme celui de Jacques Myard, le profile, le piste, le trojanise, l’oppresse, le viole et le vole… bref encore une personne qui confond Internet avec le tandem Windows/Internet Explorer (bien connu sous le nom générique d’ « aspirateur à spywares et autres virus »).  Et oui Monsieur Rogard, vous seriez surpris de voir à quel point « mon Internet à moi » est plus propre que le votre… Allez je vous donne une piste et une autre, et encore une autre pour encore plus de propreté.

On attaque ensuite un truc super en rapport avec la Net Neutrality  : «ceux qui piratent c’est quand même une énorme lâcheté, très très lâche, parce que  ce sont des gens qui sont cachés, ils ne seraient même pas capables d’aller voler quelque chose dans un magasin, ils utilisent des outils technologiques  (…) il m’interpellent dans les blogs et sont cachés par des pseudos (…) ce qui caractérise la piraterie c’est la lâcheté». Et hop, voilà qu’on nous ressert le couplet des internautes lâches et anonymes qui ne font rien que diffamer des gens toujours irréprochables. Vivement une police internationale de l’Internet, vivement une nationalisation de l’Internet !

Alors premièrement Monsieur Rogard, vous avez tendance à assimiler tous les internautes qui vous interpellent à des pirates, comme s’il fallait être un « pirate » pour relever les âneries que vous débitez à flux tendu et prendre la mesure de toute la mauvaise foi dont vous êtes capable. Et comme on n’en est plus à un amalgame idiot près, vous nous sortez le couplet réchauffé de l’anonymat très relatif des internautes qui vous interpellent. Etrangement, quand Nadine Morano veut savoir qui se cache derrière une adresse IP ou derrière un blog, elle y arrive.

Et quand on demande à Pascal Rogard ce qu’il attend, c’est avec un formidable aplomb qu’il nous lâche «j’attends que les lois de la République soient appliquées» … S’il n’y avait pas là une petite subtilité sémantique de votre part, nous serions parfaitement d’accord… mais non Monsieur Rogard, ce que vous attendez c’est qu’on fasse des lois rien que pour vous et que l’on tienne votre profession sous perfusion, c’est exactement ce que vous avez tenté de faire avec HADOPI 1, ce que vous avez réussi très partiellement avec HADOPI 2, ce que vous nous préparez avec HADOPI 3, et ce que vous venez de nous dire très explicitement avec votre « taxe Google ». Et le plus drôle là dedans, c’est que vous vous faites passer pour assez naif en émettant l’idée que des mails de l’HADOPI (Autorité que vous êtes au passage le seul à qualifier de  «compétente», ce qui ne manquera pas d’en faire rire plus d’un) puissent partir prochainement. Permettez moi d’écraser une larme, je vous garantis que c’est pas demain la veille … vu l’équipe de bras cassés qui rédige les décrets d’application ou qui va devoir se taper les spécifications du logiciel de « sécurisation » sans lequel aucun mail ne partira (rendez vous en juillet 2012).

Vous avez quand même le bon goût de conclure sur l’offre légale, mais quel crédit vous donner quand celle ci a été absente de l’intégralité des débats d’HADOPI 1 et HADOPI 2 ?

On vous a vu franchement plus en forme Monsieur Rogard.

J’ai mal à ma Net neutrality

Aujourd’hui, ce n’est pas une news qui me fait réagir mais 2. La première est issue de l’excellent billet de Fabrice dont je vous recommande vivement la lecture et qui épingle Orange comme il se doit … mais Fabrice est à mon sens encore trop gentil et nous allons voir pourquoi. La seconde est une décision de justice américaine qui piquote derrière les yeux.

Allez, c’est parti, on commence svp, par visionner cette nouvelle vidéo, suite d’une longue série thématique sur la définition de chacun de la Net Neutrality lancée par l’ARCEP (que je remercie au passage très chaudement pour cette initiative qui n’a pas finit de faire pisser du pixel). Dernier épisode en date, Stéphane Richard, directeur Général d’Orange, pour qui la Net Neutrality revêt une définition pour le moins assez singulière.


Heureusement que nous avons Orange pour nous faire un petit recadrage sémantique ! Puis c’est vrai ils sont un peu cons à l’ARCEP, ils parlent d’Internet Neutre alors que chez orange l’Internet il est « ouvert »… mais pas neutre … c’est une spécificité d’Orange, ne cherchez pas à comprendre.

Pour vous la faire courte :

  • Orange, Chine et Iran = Internet ouvert (n’importe qui peut se connecter  à un Net qui repose sur des protocoles ouverts… la classe, oui sauf que c’est tout sauf nouveau)
  • Reste du Net (sauf Chine et Iran) = Internet ouvert et neutre.

Rappelons que pour être « ouvert et neutre » (au passage si Internet était fermé on appellerait ça un Lan … AOL a essayé … AOL n’existe plus … CQFD) on ne doit pas assister à ce  mélange des genres entre FAI qui fournissent les tuyaux et producteurs de contenus… ça aussi, c’est une particularité française, merci Universal/SFR, merci Numericable, merci Orange, et dans une moindre mesure mais il a pas dit son dernier mot … merci Bouygues/TF1…

Sur ce point, Stéphane Richard a raison, l’Internet français est ouvert, mais il est loin d’être neutre, pour la bonne et simple raison que certains FAI sont de véritables rapaces et qu’ils n’ont rien trouvé de mieux que d’imposer leurs propres contenus à leur abonnés « en exclusivité », pour se faire des pépettes.

Maintenant, si vous me demandez si je trouve ça normal … je vous répondrais que non, je trouve ça malsain et honteux, mais encore une fois, le Net français, tu l’aimes ou tu te casses ! Inutile donc de me demander pourquoi ce blog est hébergé en Suède et pourquoi je compte délocaliser à terme tous mes sites. D’ailleurs, je m’amuse de voir que je ne suis pas le seul et que certains parti politiques en font de même ! Je vous rappellerais donc simplement une petite citation de Benjamin Bayart lors de la table ronde à la Cantine sur la Neutralité du Net : « Quand 10% de la population a envie de prendre le maquis c’est qu’on commence à vraiment être dans la mouise« .

Ce terme de neutralité, Orange ne l’aime pas, c’est d’ailleurs assez explicable, il y a certains signaux qui ne trompent pas. Vous ne voyez pas de quoi je veux parler ? Allez je vous aide … « En 2010, pour me remercier de mes compétences en matière d’Internet  et pour avoir appliqué en bon petit soldat la volonté présidentielle de faire voter un texte inapplicable, qui n’a ni queue ni tête et que je n’ai même pas réussi à faire passer du premier coup, je me vois confier un poste de responsable des contenus chez un grand FAI français, ce, afin de porter une nouvelle fois atteinte au principe de Neutralité du Net  … Qui suis-je ? … Bingo Christine Albanel ! Orange a inventé la Net Neuneutrality® .. exception culturelle quand tu nous tiens !

Comment voulez vous qu’un opérateur qui embauche une personne qui a prouvé qu’elle avait non seulement une incompétence manifeste sur ces sujets et qui en plus est à la solde des industries culturelles soit d’accord avec le principe de Net Neutrality ?

Revenons en à l’ami Stéphane Richard qui confesse volontiers ne pas être un spécialiste de l’Internet (là tout de suite comme ça, ma première réaction est de me demander ce que fout ce type à la direction générale du plus important FAI français … pas vous ?). Notez que le monsieur sur la video n’en ramène pas lourd non plus, « je ne suis pas un ancien dans les réseaux, je suis tout neuf », comprenez « j’y capte rien moi à Internet, j’ai été embauché pour faire de la thune alors venez pas me gonfler avec votre neutralité ». Et la thune, je la fais comme je veux, si je veux que mon FAI soit partenaire avec le Figaro, il ne m’apparait pas choquant que tous mes abonnés se voient interdire l’accès à d’autres journaux ou sources d’actualités en ligne… ou alors ils auront le droit mais ce sera payant… faire payer sur son réseau l’accès à une information gratuite sur tous les autres réseaux pour privilégier ses propres contenus, voilà une idée qu’elle est séduisante … bienvenue dans la vie.com avec Orange.

Assez trollé et si vous souhaitez lire des arguments sérieux « contre » la Net Neutrality, ce sont ceux avancés par Alexandre Archambault, responsable des affaires réglementaires chez Iliad, qui contrairement à monsieur Richard connait bien son sujet. Et encore, après bonne lecture, vous comprendrez que la position d’Alexandre, fort juste, ne va pas tant que ça contre la « bonne intelligence » d’une Net Neutrality responsable, cohérente, où toutes les parties seraient gagnantes, vous verrez en plus que c’est quand même dit avec une autre classe et une réflexion plus poussée que ce que nous sert monsieur Richard… Toujours suite à cet argumentaire d’Alec, je vous invite ensuite à lire la réponse de Benjamin qui vaut comme d’habitude son pesant de cacahuètes.

Ce qui nous mène au second point de ce billet qui est l’affaire FCC vs Comcast, un opérateur qui s’était fait taper sur les doigts car il s’adonnait à du trafic shaping un peu trop prononcé sur les réseaux P2P. Cette décision en appel n’a évidemment pas non plus échappé à Fabrice. L’affaire remonte à 2007, la FCC (Federal Communication Commission) qui est l’équivalent de l’ARCEP aux USA avait sommé Comcast, le Orange local, de ne pas s’adonner au filtrage des contenus au nom du priincipe de Net Neutrality. Elle gagna le procès contre l’opérateur en première instance marquant ainsi un point en faveur de la Net Neutrality. La cour d’appel fédérale a tranché, la FCC n’a pas le droit  d’imposer la Net Neutrality à Comcast. La décision en appel intervient à un moment particulier, car croyez le ou non, les USA sont un véritable désert numérique … aux USA, ils n’ont pas Free, ils n’ont rien compris. L’offre plafonne souvent à 5 mégas sur un réseau câblé vieillissant et la FCC lance un plan national en faveur du haut débit. La FFC comptait bien faire de la Net Neutrality une composante importante de son plan et pour qui connait Internet, on se rend vite compte que non seulement c’est la bonne méthode mais qu’en plus cette Net Neutrality est nécessaire pour qu’un accès au haut débit se fasse dans les meilleures conditions pour tous (et là je pense surtout accord de peering pour les petits opérateurs locaux qui pullulent aux Etats Unis). Cette décision est fort intéressante, car elle est à mettre en parallèle avec l’action de l’ARCEP dont on sait qu’elle n’a qu’un rôle consultatif … un peu comme une Haute Autorité sans autorité (oh c’est un peu facile … mais oui … comme HADOPI). Sauf  que contrairement à HADOPI, l’ARCEP a une utilité réelle et coûte au contribuable 10 à 50 fois moins cher. Si les avis de l’ARCEP sont consultatifs, ils n’en demeurent pas moins souvent fort respectés car guidés par la bonne intelligence, pour le bien commun et pour le bien des réseaux.

Attention, cette décision de la cour d’appel fédérale ne veut cependant pas dire que la Net Neutrality est morte aux USA, cette problématique reste au coeur des préoccupations des internautes américains comme des politiques qui se sont emparés de cette cause, flairant l’importance que ce débat revêt pour une démocratie saine. Il faut donc s’attendre à de nouveaux rebondissements sur ce dossier très sensible.