NoCode : ou la promotion de l’illettrisme numérique

Sur Internet, on voit régulièrement débouler une personne avec un « concept disruptif kivatoutniker® » : le cloud quantique, MultiDeskOS, Phoenix… et le nouveau cyberbidule digital du jour c’est le NoCode. Alors rassurez-vous car comme souvent, il n’y a rien de bien nouveau, en dehors du business model et de la communication qui elle non plus n’est pas bien neuve mais tellement biaisée qu’il me paraît intéressant de vous en parler.

NoCode ?

Je connais ! c’est un super album (à la fin de ce billet)… Ah non, c’est sur le JDN, ça doit pas causer grattes… allons lire. Après quelques minutes de méditation en position de l’hirondelle et un grand verre d’eau, discutons-en.

C’est l’histoire d’un BTTWTF

Kitetoa appelait ça le BTTF (back to the futur), mais là nous sommes plutôt face à un Back To The What The Fuck… Ce qui est ici qualifié de « NoCode » c’est en fait un générateur de code comme le fait Eclipse en Java… On fait un joli diagramme UML, puis on le donne à manger à Eclipse et paff … un fart in .jar. Parce que c’est tout simplement inutilisable en production, c’est buggué, le code est laid… Spoiler alert : avec les copains d’Emencia on avait fait un truc du genre, ça s’appelait Zwook et ça se cantonnait à générer un code html relativement propre avec lequel vous pouviez générer vos templates à la souris. Pour l’époque, il y avait de l’artillerie lourde sous le capot (le serveur applicatif Zope et sa base de données transactionnelle). Il s’agissait évidemment d’un outil libre et opensource… et ça c’était il y a 20 ans. Il subsiste une communauté qui le fait vivre chez nos amis suisses de ZwookEdu que j’en profite pour saluer au passage. Le NoCode, c’est donc un buzzword qui décrit le mythe du « tu cliques, ça compile et c’est bon pour la prod ». Bref, du déjà vu depuis au moins 20 ans.

Autant vous dire que j’ai eu un petit sourire en coin quand j’ai commencé à gratter sur cet article, qui présente toutes les caractéristiques d’un infomercial ne portant pas son nom. Je veux bien croire à la bonne foi du Journal du Net quand ils m’ont confirmé que tout le monde pouvait écrire un article chez eux et qu’ils ne prenaient rien pour cet espace publicitaire extraordinaire qu’est ce site quand on a un truc à vendre.

Il est relativement aisé, quand on a une petite culture Internet, de reconnaitre le discours du marketeux qui vient expliquer sans trembler des genoux qu’il n’est plus la peine de coder, puisque vous savez quoi … il a la solution (ça tombe quand même rudement bien). N’en déplaise à ce monsieur qui déclare quand même qu’il codait avant que je sois né, et qui m’a traité de lâche anonyme (confondant au passage les notions de pseudonymat et d’anonymat…… cours de rattrapage).

You did it wrong!

J’ai bien entendu proposé de m’entretenir avec lui par téléphone en lui communiquant mon numéro, il a assez naturellement rejeté mon invitation, préférant poursuivre son argumentation lunaire en public. Vu que je n’ai pas la patience de reprendre tout ses tweets un par un et afin de vous présenter un résumé plus lisible que ne le seraient de multiples threads, c’est finalement ici que je vais vous donner ce qui n’est que mon modeste sentiment.

Le monsieur présente bien, col roulé noir d’inspiration Steeve Jobs, on lui donnerait le bon dieu sans confession. Il semble relativement peu connu dans la tech mais comme le monde est très petit, nous avons par rebond des connaissances en commun qui se sont empressées de confirmer mon premier à priori.

Nous sommes donc ici sur une solution propriétaire, en SaaS (que vous ne pouvez pas installer chez vous)… c’est à dire une boite noire : le truc que n’importe quel DSI digne de ce nom fuirait. Mais comme il faut bien la vendre, on se cherche un espace promotionnel, en évitant soigneusement de se présenter. On croirait naïvement à une véritable révolution, vous rendez-vous compte, il existe un truc, le NoCode… qui va tuer le DevOps tellement c’est super.

Comme vous devez vous en douter, avec ce type de solution, ça ne doit pas se bousculer au portillon. En 2022, ça devient dur de faire croire à un décideur qu’utiliser un générateur de code va produire quelque chose de maintenable, sécurisé, performant et scalable, quatre préoccupations centrales quand on lance un projet. Ce genre de solutions sont à peine bonnes à faire du prototypage rapide.

Qu’à cela ne tienne, on va créer une académie et attaquer le marché de l’éducation nationale… et c’est à ce moment précis qu’on entre dans le charlatanisme numérique.

« Non, nos enfants ne seront pas codeurs mais « no codeurs »… rien qu’à la lecture du titre, on se dit qu’on est pas dans la merde si cette prédiction se révèle exacte. À l’heure ou de nombreuses entreprises ont du mal à trouver des compétences, on sent que ce calcul est un peu hasardeux, pour ne pas dire dangereux.

On enfonce aussitôt le clou « sauf que l’urgence n’est plus à la formation au code mais au no code. ». Rien qu’à ce stade de l’article, je ne vois pas par quel procédé intellectuel honnête, on peut déclarer sans trembler des genoux qu’il est urgent que nos enfants soient e-gnares. Que seraient nos philosophes si on avait décidé qu’il était urgent qu’ils soient formés au NoAlphabet ? Nous serions passés du siècle des lumières à celui de la lumière à pas tous les étages… ni plus ni moins.

On enchaine ensuite en citant Steeve Jobs (oh quelle surprise !), pour en conclure qu’apprendre le code c’était bien en 1984, mais plus en 2022… vous devinez pourquoi ? Et bien parce qu’il y a maintenant le NoCode, une révolution !

« car une nouvelle révolution a pointé le bout de son nez : le no code.  »

On passe maintenant à l’argument « scientifique » et on troque le col roulé noir pour la blouse blanche : figurez-vous qu’on forcerait nos enfants à une « alphabétisation numérique » et que ceci aurait de graves conséquences sur leur développement. Le code leur gaverait tellement le crâne que ces derniers n’auraient plus assez de RAM pour apprendre d’autres formes d’art ou des langues étrangères, et pire, nous dégoûterions nos enfants de l’informatique. Cette affirmation ne se fonde évidemment sur absolument aucune étude, on navigue au mieux au doigt mouillé… au pire, on affirme n’importe quoi qui puisse servir un discours plus marketing qu’il ne s’en donne l’air.

On enchaine ensuite sur cet exemple qui devrait terroriser tous les parents et les dissuader de dispenser un enseignement informatique à leurs enfants : Eliott Anderson, le héro du Mr Robot, surdoué du code mais complètement sociopathe, et drogué. Qui voudrait d’un enfant comme ça ? Il devient naturellement urgent de faire du … NoCode (ça va vous suivez).

« Celui d’avoir sacrifié sa vie à l’apprentissage du code, au détriment de tout ce qui l’entoure »

La réalité, c’est que pour l’immense majorité des développeurs, le code est un élément de sociabilisation, un vecteur d’échange avec le monde.

« Les futurs entrepreneurs de demain seront tous no codeurs, pas codeurs »

Et bien on est pas dans la merde si cette punchline devient réalité… Mais voilà, le monsieur en est convaincu, les entrepreneurs de demain qui créeront nos pépites numériques seront des NoCodeurs, c’est certain. Et ils utiliseront évidement son bidule propriétaire en SaaS chez AWS (FrenchTech quand tu nous tiens), vu qu’ils ne sauront même pas faire la différence entre le local et le remote.

Est ensuite mise en avant la seule chose pour lequel le NoCode serait éventuellement utile, le PoC… il faut aller vite. On revient donc au discours marketing, car oui on voyage beaucoup dans cet article. Et alors attention celle-ci elle est magique :

« Afin de pallier leur manque de connaissance ou de développeurs recrutés pour sortir un PoC ou un MVP dans le time to market  »

Là c’est quand même bien tordu d’oser poser le constat du manque de développeurs pour en conclure qu’il faut former des « no codeurs ». C’est bien connu, quand on crève de chaud, on enfile des Moonboots et des mouffles.

Qu’en est-il du coût ? Pas d’inquiétude, là encore le No Code… c’est beaucoup moins cher.

« n’importe quel entrepreneur avancera plus vite et pour moins cher dans ses projets« 

On oublie juste de vous signaler que ce qu’on vous propose ici, c’est de payer quelque chose qui ne vous dispensera pas de payer de vrais développeurs quand il faudra un truc sérieux qui ira en production.

« No code = temps gagné + économies »

Là, l’équation est tout simplement mensongère puisqu’il manque quelques variables (vous vous souvenez : maintenabilité, performance, sécurité, scalabilité…) et bien le résultat c’est que ça vous coûtera un rein de refactorer le code généré par une boîte noire propriétaire. C’est un coup à tuer votre projet prématurément, grâce au NoCode.

Je passe sur le discours « c’est magique ça marche avec tous les secteurs d’activité tellement c’est bien », mais je suis plutôt tenté de croire que non, on ne design pas une application lourde complexe, haute disponibilité, performante et sécurisée avec ce genre de solutions. Un code auto-généré est tout sauf performant, puisqu’il n’est par définition pas optimisé.

« No code + Idée géniale = Produit révolutionnaire »

Oui, le NoCode, c’est comme le référencement sur Internet, il faut s’en remettre à la magie et faire une confiance aveugle à son marabout, c’est comme ça qu’un projet cartonne.

La preuve…

On a ensuite un petit instant de répit :

« Bien entendu, nous aurons toujours besoin de développeurs traditionnels. »

Ouf, nous voilà rassurés, nous aurons donc toujours besoin de développeurs à l’ancienne, « des qui savent lire » le code imbitable généré par une boîte noire et l’esprit torturé d’une personne qui n’a aucune notion d’algo mais qui va conquérir le monde avec sa startup.

On repart ensuite chez madame Irma en citant le Gartner Group :

« Mais selon Gartner, d’ici quatre ans, 80% des applications créées le seront en no code. « 

Si Gartner le dit… sauf que je ne trouve pas où ils racontent ça. Il y a bien ce papier qui explique qu’il y a eu une croissance en 2021 de l’utilisation du LowCode (et non NoCode, la différence est subtile mais elle a son importance.. puisqu’elle implique tout de même des développeurs). Bref si vous me trouvez la référence de ce chiffre de 80% qui me semble tout droit sorti du chapeau, je suis preneur.

« Ces outils sont des alternatives indispensables et demandées par les entreprises innovantes et celles qui souhaitent se digitaliser. »

Une entreprise qui souhaite se « digitaliser », je ne sais pas si c’est douloureux. Mais quand on se rend compte qu’on est en train de nous vendre une NoCode Academy pour nos enfants, c’est un coup à me décider à les déscolariser.

La conclusion remet une petite couche d’émotionnel pour nos pauvres petits enfants qui risquent de passer à côté de cette chance offerte d’apprendre le Nocode (c’est à dire apprendre à ne surtout pas apprendre le code)… et à aucun moment l’auteur ne daigne révéler sa qualité… celle d’un startupper venu vendre sa NoCode Academy.

Bravo l’artiste !

Ce billet a été rédigé en écoutant ce superbe album de Pearl Jam, intitulé… No Code, le seul No Code que je vous recommanderais chaudement.