Normalisation européenne d’outils de filtrage du Net : la position de officielle de l’AFNOR

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AFNOR

L’AFNOR a souhaité réagir officiellement sur le billet précédent. Relevant plusieurs erreurs le Groupe AFNOR nous apporte quelques précisions tout en réaffirmant ses divergences avec le projet de normalisation européen : « Le député Mignon dit que la norme européenne s’inspire de la norme française. Ce n’est pas exact, les normes française et européenne ont été élaborées complètement indépendamment l’une de l’autre. »

Elle réagit également sur l’adendum de 21h dans lequel je tentais de donner des précisions sur le dispositif de filtrage où j’indiquais (…) elle s’est opposée (au nom de la France) à cette norme expérimentale visant à transmettre les blacklists aux FAI afin de laisser à ces derniers le loisir de filtrer sans que le particulier ne puisse exercer de contrôle de lui même… Mes propos étaient inexacts et l’AFNOR précise sur ce point : « En fait, une des différences repose sur le fait que les logiciels de filtrage définis par la norme française s’installent en local, tandis que les solutions de filtrage définis par la norme européenne sont hébergées à distance mais restent néanmoins activables par l’utilisateur (le parent n’a pas de visibilité sur le contenu filtré, et le risque dénoncé par les experts français est que le contrôle parental s’exerce sur le parent lui-même). La question n’est en tout cas pas de transmettre les listes aux FAI (à noter que la norme européenne s’applique à tout type de solution de contrôle parental, là où la norme française est limitée aux solutions des FAI).
L’AFNOR ajoute également qu’elle ne sait pas quand exactement cette norme est sensée sortir. Elle insiste enfin sur le fait qu’elle ne participe plus au projet de normalisation européen : « A noter que dans le cadre de la création de la commission pour élaborer la norme expérimentale française les français ont commenté la norme européenne en 2009, mais qu’il n’y a plus en 2010 aucune commission AFNOR active, donc à ce jour aucune délégation française au niveau européen.»

Le Comité Européen de Normalisation n’a pas souhaité transmettre le document de cette norme et n’a pas non plus souhaité transmettre les noms des personnes participant à cette commission sur les outils de filtrage. L’opacité est donc, pour le moment, totale au niveau du CEN.

De nombreuses zones d’ombre subsistent concernant le rôle exact d’OPTENET au sein du comité comme sur ses inclinaisons à être tentée de filtrer des sites parfaitement légaux. Un exemple concret est le filtrage en Australie de sites informatifs sur l’interruption volontaire de grossesse, OPTENET proposait l’une des deux solutions gratuites de filtrage mises à disposition par l’ACMA. Le risque de voir un filtrage du Net opéré par une entreprise proche de milieux intégristes catholiques, normalisant des moyens techniques et définissant ce qui doit être filtré ou non dans la plus grande opacité, est donc plus que jamais d’actualité.

L’ombre de l’Opus Dei plane sur le projet de normalisation européen du filtrage du Net

opus dei
Opus Dei

Aujourd’hui suite à un tweet de @manhack je découvre, dans une réponse du gouvernement que l’AFNOR et son pendant espagnol, l’AENOR plancheraient sur un projet de normalisation de dispositifs de filtrage du Net. Il me faut un petit temps, quelques recherches sur le Net, deux trois coups de fil… et hop, l’évidence est là, sous mes yeux. Quelque chose d’assez pestilentiel plane dans cette histoire de filtrage, creusons un peu cette nébuleuse où s’entremêlent business, politique, contrôle du Net, sectes et lobbying. Une entreprise de sécurité informatique liée à une secte, ce n’est pas quelque chose de nouveau, on se rapelle par exemple de l’éditeur antivirus Panda Software et de ses liens avec l’Église de Scientologie. Nous allons donc tenter de comprendre un peu mieux le background de ce projet de normalisation pour tenter d’y voir un peu plus clair.

Dans la réponse faite au député Mignon, on peut lire « La version expérimentale de cette norme a été publiée par l’AFNOR en janvier 2010. Elle sera présentée devant le bureau technique du Comité européen de normalisation dans le cadre du comité de projet « Filtrage Internet » (Project Committee « Internet Filtering »). Ce comité est animé par l’Agence espagnole de normalisation (AENOR). La publication d’un premier document européen est envisagée d’ici la fin de l’année 2010. Par ailleurs, le secrétariat d’État à la famille et à la solidarité soutient des actions de sensibilisation et d’éducation aux médias menées par des associations tant auprès des jeunes dans les établissements scolaires que des parents. »

L’affaire remonte à 2006, OPTENET, une société d’origine espagnole est accusée d’avoir extrait les listes d’accès d’une solution de contrôle parental d’origine française, celle de la société XOOLOO. Au milieu de cette affaire, on trouve également le nom de grands FAI : ORANGE (à l’époque WANADOO / NORDNET à qui nous devons par exemple un certain failware HADOPI), CLUB INTERNET et TELECOM ITALIA. ORANGE aurait laissé fuiter les listes d’accès (constituées manuellement par la société XOOLOO)… négligence caractérisée ou intention délibérée, même si j’ai bien ma petite idée sur les modalités d’extraction de ce genre de liste, je ne suis pas dans le secret des dieux. Sachez simplement que c’est la solution de XOOLOO qui était intégrée à l’offre Securitoo commercialisée par Wanadoo sur abonnement et packagée par NORDNET… on ne change pas une équipe qui gagne.

Le scandale éclate en mai 2007 dans les pages de Libération qui nous apprend dans un article intitulé « Optenet, chapelle de l’Opus Dei » les liens étroits entre OPTENET et l’Opus Dei, je cite :

« Optenet, créé en 1997, s’appelait avant Edunet. Son siège est à San Sebastián. Elle emploie aujourd’hui «130 professionnels» et possède des antennes en Europe, au Brésil, au Mexique et aux USA. En France, Optenet Center compte parmi ses membres fondateurs Alberto Navarro Mas, gérant de la SARL. Il pilote le bureau d’Optenet à Paris. C’est aussi le gérant des éditions Le Laurier, spécialisées dans les publications de l’Opus Dei, et sise au 19, rue Jean-Nicot, à Paris. Cette ruelle du VIIe arrondissement abrite au numéro 6 le centre Garnelles, le plus fréquenté des treize lieux de rencontre gérés par l’Opus Dei à Paris. C’est à cette adresse qu’est domicilié professionnellement Alberto Navarro Mas. C’est là aussi qu’est domiciliée l’Acut (Association de culture universitaire et technique), considérée comme un des satellites de l’Opus Dei. »

Niant tout lien avec l’Opus Dei, OPTENET s’offre un droit de réponse peu convainquant suite aux révélations de Libération.

En fouillant un peu plus on trouve sur Légalis un résumé complet du feuilleton, l’histoire est passionnante, on y apprend que Xooloo a mis trois ans pour constituer sa base de données de sites filtrés alors qu’Optenet ne mettra que quelques semaines, l’usage d’un crawler est soupçonné. Concernant la fuite de la base de données, Orange est accusé de complicité par la société XOOLOO.

« Attendu que France Telecom n’apporte pas la preuve qu’elle avait reçu l’autorisation de Xooloo pour fournir à Optenet la base cryptée de Xooloo, le tribunal dira qu’en agissant ainsi, France Telecom a eu une application fautive du contrat, qu’elle s’est mise en contradiction avec l’article L.342-1 du code de la propriété intellectuelle et que les moyens présentés par France Telecom pour démontrer qu’elle a exigé d’Optenet des garanties de confidentialité sont inopérants, »

En fouillant même encore un peu plus, il semble que la base de données de XOOLOO, remixée à la sauce OPTENET, se soit vue intégrer des sites dont les contenus n’ont pas de caractère choquant, les critères semblent tout de suite plus « religieux » qu’en rapport avec la protection de l’enfance.

En 2009, on retrouve XOOLOO et OPTENET, aux côtés d’associations de protection de l’enfance (Droit@l’Enfance, E-Enfance, Action Innocence), à l’AFNOR, pour définir une ligne directrice en vue d’une normalisation des solutions de contrôle parental.

Aujourd’hui, je dois vous avouer que l’implication OPTENET dans ce projet me laisse particulièrement perplexe sur les motivations profondes de normalisation des outils de filtrage demandée par Nadine Morano alors en charge de ces questions. Fabrice Epelboin avait mis en garde sur une dérive puritano religieuse de l’exploitation des questions de filtrage du Net, il semble qu’en Europe, elle revête un caractère carrément sectaire, je ne suis qu’au début du fil, et quand je tire, je sens bien la pelote… OPTENET semble très actif dans le lobbying européen relatif aux questions de l’enfance et ses solutions sont assez reconnues pour s’être même vues décerner une récompense européenne, le prix IST de l`innovation (Information Society Technology) par la Commission Européenne. Au niveau français, OPTENET, arbore aussi le logo officiel du ministère de l’éducation nationale. Vu le passif de la société, j’ai le sérieux pressentiment que ça ne sent pas bon du tout.

J’espère en avoir assez dit pour vous donner l’envie de creuser un peu plus le sujet, comme d’habitude, je vous invite à faire vos propres recherches et à être particulièrement vigilants sur cette histoire qui présente tous les ingrédients d’un bon gros scandale. Nous ne pouvons pas laisser un sujet aussi grave et sérieux que la protection de l’enfance devenir une porte d’entrée à une dérive sectaire au plus haut niveau européen, dont le cheval de bataille serait le filtrage du Net.

Si vous avez du temps, n’hésitez pas faire des recherches et à remonter des informations suspectes, mon petit doigt me dit qu’on en est qu’au début.

EDIT : 21h00

  • J’ai contacté l’AFNOR qui a répondu en toute transparence à mes questions, sa position est claire, elle s’est opposée (au nom de la France) à cette norme expérimentale visant à transmettre les blacklists aux FAI afin de laisser à ces derniers le loisir de filtrer sans que le particulier ne puisse exercer de contrôle de lui même (DNS Menteur). Cette norme expérimentale est sensée être adoptée en Janvier 2011.
  • En continuant mes recherches, j’ai découvert que la solution d’OPTENET était l’une des deux solutions gratuites (avec la solution SAFE EYE) proposées par le gouvernement australien. Là bas, les listes de filtrage ont fait grand bruit puisque comme on s’en doutait, on y trouvait aussi des sites dont la nature n’avait pas un caractère répréhensible par le droit australien.
  • En grattant encore, on trouve assez simplement ce billet. On y apprend que OPTENET se nommait autrefois EDUNET. Sur son site, EDUNET proposait des contenus pour le moins assez particuliers comme ces pages : http://web.archive.org/web/20031210143415/www.edunet.es/ideas/index.htm qui ne sont plus en ligne mais que l’on retrouve avec Webarchive. On y apprend que selon cette société, l’homosexualité est une maladie qu’on attrape à la naissance ou plus tard : http://web.archive.org/web/20031005032609/www.edunet.es/ideas/homosexu.htm (point n°6).
  • Au niveau français, OPTENET semble compter l’éducation nationale parmi ses clients et arbore fièrement le logo du ministère sur l’un de ses sites : http://www.education.optenet.fr/
  • Je cherche maintenant des traces sur un éventuel conflit d’intérêts au niveau de la commission de normalisation européenne sur ces dispositifs de filtrage : à son plus haut niveau, on retrouverait encore OPTENET.

Qu’est ce qu’Internet a à perdre du remaniement ministériel ?

remaniement ministériel
Remaniement ministériel in progress

Selon toute vraissemblance, nous devrions connaître dans les prochaines heures, ce dimanche, la composition du nouveau gouvernement. Le site officiel affiche d’ailleurs en ce moment une page de maintenance avec un message annonçant la démission du gouvernement.

Démission du Gouvernement

Le samedi 13 novembre 2010
En application de l’article 8 de la Constitution, M. François Fillon a présenté au président de la République la démission du gouvernement.
Le président de la République a accepté cette démission et a ainsi mis fin aux fonctions de M. François Fillon.
Source : communiqué de l’Elysée

Ce remaniement pourrait bien changer pas mal de choses pour notre « Internet français »… et pas qu’en bien. Il y a un sérieux risque que le Secrétariat d’État à l’Économie Numérique passe dans les mains de son ministère de tutelle, celui des finances et de l’industrie.

En passant sous la responsabilité directe du ministère des finances et de l’industrie, à cette période charnière où la transposition dans le droit français du paquet Télécom (par décret) pourrait bien sceller la petite mort de la neutralité du Net, on assiste à l’abandon d’un trésor culturel aux mains des lobbys industriels,  qui ont tous un intérêt à venir à bout des fondemmentaux qui ont permis à l’Internet de devenir ce qu’il est aujourd’hui.

Neutralité, ouverture et partage, 3 notions fondatrices, complètement antinomiques avec une gouvernance de Bercy. En clair, ça sent salement l’erreur de casting. Non pas que Christian Estrosi qui devrait être reconduit à son ministère soit incompétent en la matière mais j’ai un sérieux doute sur la capacité de Bercy à prendre l’Internet pour autre chose qu’un temple de la consommation qu’il faut impérativement réguler afin que les industriels le façonnent à l’image de ce qu’ils ont à vendre. Ce sentiment est évidemment renforcé par les conclusions de la consultation sur la neutralité où Bercy, tirant les ficelles, a accouché d’une copie conforme des positions d’Orange et SFR, deux fournisseurs d’accès qui réfutent jusqu’à la notion même de neutralité en plaidant pour un « Internet ouvert », et plsu discrètement, de l’une des entreprises qui a économiquent intérêt au filtrage du Net, Alcatel… un pléonasme s’inscrivant dans une stratégie d’enfumage qui masque mal que ces deux FAI sont avant tout des éditeurs de contenus. Ce mélange des genre a bien évidemment la bénédiction de Bercy, et là dessus croyez moi sur parole, le Net a tout à y perdre.

Abandonner Internet à des gens qui ont tout intérêt à le transformer en minitel, voilà ce que nous risquons.

Quand on connait le zèle de Christian Estrosi sur les questions sécuritaires et répressives tout ça est particulièrement préoccupant, rappellons que le ministre par ailleurs maire de Nice a récemment inventé la « vidéoprune », un usage détourné de la vidéo « protection » qui montre bien l’hypocrisie du terme et surtout la dangerosité de voir une justice automatisée se mettre en place. Vous n’avez surement pas manqué de noter que l’argument roi pour toute atteinte à la neutralité des réseaux (ou à la liberté en général), c’est la sécurité. Pas la sécurité comme je peux l’entendre moi ou vous les geeks qui lisez ces lignes, mais la sécurité autoritaire et répressive visant directement à amputer le Net de fonctions, de contenus, de services, de protocoles…

Autre sujet bouillant qui passerait sous la responsabilité de Bercy, la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (ou LOPPSI 2) qui semble avoir été mise en standby en attente de ce remaniement. Là encore, si Christian Estrosi est maintenu, nul doute qu’il s’appliquera à faire passer les mesures les plus contestables (celles que l’on trouve dans l’article 4 du projet de loi) relatives au filtrage.

Internet mérite mieux que Bercy, Internet mérite son propre ministère, c’est là la seule manière de lui assurer des perspectives d’évolutions cohérentes.

Faut-il réguler la Neutralité du Net ?

neutrality

Je ne pensais pas avoir un jour à me poser cette question : faut-il que le législateur intervienne pour préserver un semblant de neutralité des réseaux ? J’ai plus de 15 ans de net derrière moi, mes Internets à moi se portent très bien et j’ai un peu de mal à me figurer que le fait que des politiques s’en mêlent puisse apporter quoi que ce soit de positif. Cette question m’est simplement venue au détour d’un tweet de Ludovic Penet (si vous ne le connaissez pas encore et que ces questions de neutralité vous intéressent, faites chauffer votre reader RSS, le monsieur sait de quoi il parle et il en parle très bien).

Tout est parti de ce billet où je revenais sur la réponse de CCIA à la consultation de l’HADOPI sur les moyens de sécurisation. Les poids lourds du Net (Yahoo, Google, Microsoft, Facebook…) mettaient les deux pieds dans le plat en contestant la légitimité de l’HADOPI dans sa mission toute neuve de sauver les internautes des méchants pirates qui utiliseraient leur connexion Internet pour downloader le dernier Lady Gaga. Dans ce billet, je m’amusais un peu de voir ces géants du Net se réveiller 2 ans après la bataille alors que Christine Albanel criait à qui voulait bien gober ses sornettes, que les accords Olivennes, à l’origine de la loi création et Internet, étaient issus d’un large consensus. Manque de bol, il semblerait que les principaux acteurs du Net (les internautes, les grosses entreprises du Net, ou encore l’ASIC) n’aient pas été invités à participer à ce large consensus… et oui, un consensus c »est toujours plus simple quand on est tous d’accord avant de commencer à causer… évidemment il y en a toujours un pour l’ouvrir mais quand on a une licence 3G à troquer, c’est assez simple de le faire plier. Le soucis c’est qu’une fois votée, il faut bien l’appliquer cette loi… et c’est là qu’on s’étonne de voir des entreprises, comme Google, Yahoo ou Microsoft, que l’on pensaient toutes « consensualisées à mort », fustiger de manière véhémente le produit direct de ce consensus… voilà pour le contexte.

La discussion de fond maintenant

Quand Ludovic a réagi à ce billet, il m’a fait remarquer que je soutenais implicitement une atteinte à la neutralité. Je n’aurais pas relevé si ceci ne venait pas de Ludovic. S’il dit ça, c’est qu’il y a forcément un fond de vérité et quelque chose aurait donc échappé à mon analyse… ok, creusons.

Attention, sur les questions de neutralité, Google, Microsoft et Yahoo ou Facebook ne sont certainement pas à mettre à la même enseigne. Quoi qu’on en dise, Google s’est toujours montré très respectueux de la neutralité du Net, et pour cause, c’est en grande partie grâce à cette neutralité que Google est devenu ce qu’il est… et que d’autres, un jour, pourront aspirer à le détrôner. A contrario, Microsoft a très longtemps mené une politique de fermeture, il aura par exemple fallu attendre 2010, pour que dans sa grande mansuétude, Microsoft se décide à faire un navigateur qui respecte les standards du W3C.

Ce que Ludovic voulait me faire remarquer, c’est que tout ce petit monde a forcément un intérêt à être contre toute régulation. Les sociétés privées ont envie de continuer à tenir les rennes, à innover et à… brider un peu à leur manière le Net pour diriger les utilisateurs sur leurs services et pas celui du voisin… Et oui, Ludovic à raison, mais je reste assez perplexe, quelque chose me chiffonne dans ce raisonnement…

Toujours est-il qu’en désignant HADOPI comme illégitime dans sa mission de spécification d’un logiciel de sécurité labellisé et créant une incitation légale à acheter tel dispositif plutôt que tel autre, la CCIA met le doigt sur une entrave à l’innovation et sur un petit soucis de distorsion concurrentielle assez intéressant. Or la CCIA oppose cet argument qui est de dire que dans une société qui se dit libérale, on laisse le marché faire, on ne lui impose pas de ligne directrice susceptible de nuire à l’innovation et d’entraver la concurrence. Je vois par exemple assez mal la HADOPI préconiser le pare-feu par défaut de Windows comme une solution fiable de protection, mais est-ce bien l’efficacité de la protection des utilisateurs qui est recherchée par la HADOPI ? N’est-ce pas plutôt la protection du droit d’auteur qu’elle cherche à protéger en incitant vivement l’utilisateur à installer un moyen de sécurisation ?

Alors on régule ?

Au moment où je suis en train d’écrire ces mots, je n’ai pas la réponse à cette question et bien malin celui qui peut m’en donner une parfaitement argumentée. En revanche j’ai quelques observations assez factuelles à formuler  :

  • Premier constat : avant que les politiques ne commencent à y mettre leur nez, le Net fonctionnait très bien sans eux, ouvert et neutre, personne ne se posait d’ailleurs la question il y a une dizaine d’années, on bouffait du kilo-octet tout neutre et ça ne perturbait personne.
  • Second constat : en France, TOUTES les lois qui concernent Internet ont eu pour seul effet (voulu ou pas) d’entraver son ouverture et sa neutralité au bénéfice de quelques uns et au détriment du plus grand nombre.
  • Troisième constat : les atteintes à la neutralité sont jusque là du fait de deux entités, il s’agit soit d’états, soit de FAI (systématiquement du côté de ceux qui détiennent des infrastructures… en toute logique). Un état porte atteinte à la neutralité généralement pour de mauvaises raisons (fliquer ou materner sa population), les FAI, eux, le font pour des raisons économiques.

Il y a deux points capitaux qu’il semble donc de bon ton de dissocier :

  • l’infrastructure (les tuyaux)
  • et les services (le contenu).

Nous avons une particularité en France, c’est que ceux qui détiennent les infrastructures sont également éditeurs de contenus. Il est donc facile de comprendre, partant de là, qu’un opérateur préfère qu’on utilise SON infrastructure pour accéder à SES contenus plutôt qu’à ceux des voisins… et comme tous les éditeurs de services ne sont pas FAI, le rapport de force peut très vite tourner en la défaveur des entités qui ne possèdent ou n’ont accès à aucune infrastructure.

Je vois ici 3 issues possibles :

  • On régule en interdisant aux FAI d’être éditeurs de contenus (on peut toujours rêver).
  • On régule uniquement au niveau des infrastructures physiques, particulièrement si elles sont financées tout ou partie par des fonds publics. Il s’agirait d’inscrire dans la loi que n’importe quel acteur puisse accéder à ces infrastructures pour délivrer un service, qu’il soit local ou national. C’est de loin la solution la plus séduisante à mon sens et c’est surtout celle qui répond le plus intelligemment à cette problématique complexe.
  • On ne régule rien du tout et on laisse faire.

De ce que j’ai vu en 5 ans d’acharnement des politiques pour tenter de briser cet espace de liberté qu’est Internet (à coup de filtrage, blocage, croisade contre l’anonymat, ou encore cette escroquerie intellectuelle du droit à l’oubli numérique) m’incite à penser qu’on ferait mieux d’attendre que certains de nos élus ne prennent leur retraite avant que l’on envisage de pondre une loi sur la neutralité du Net… au risque de se retrouver soit avec un texte qui n’a ni queue ni tête, à l’image d’HADOPI, soit avec une super occasion pour l’Elysée d’officialiser la fin en grande pompe d’un Internet neutre, outil indispensable à l’exercice de la liberté d’expression… pour paraphraser le Conseil Constitutionnel.

Un marché de la sécurité complexe

Il faut d’abord distinguer les solutions qui s’adressent aux FAI, aux grandes entreprises, aux PME, puis aux particuliers. On distinguera également les solutions matérielles des solutions logicielles… et les charlots des gens sérieux mais ce n’est pas trop le débat. Nous allons nous concentrer sur deux niches :

  • Les solutions de sécurité ISP class : je parle ici de solutions, souvent matérielles (firewall/routeurs de service…), visant à prémunir le réseau des fournisseurs d’accès d’attaques diverses (dénis de service, vagues de spam, propagation de vers…). Ici, les solutions dites de Deep Packet Inspection ont une utilité certaine car elles servent le bon fonctionnement du réseau en luttant contre des attaques susceptibles de le perturber. Concrètement, des sondes ou des routeurs de services reconnaissent les signatures des attaques et stoppent leur acheminement. Le marché du DPI représente à horizon 2013 environ 1,5 milliards de dollars à lui tout seul. Un routeur de service capable de traiter un flux terabit coûte entre 120 et 250 000 euros. Là si vous m’avez bien lu, vous devez comprendre tout de suite que tout ce qu’on raconte sur le DPI est entièrement faux… fliquer toute le population française ne reviendrait certainement pas des centaines de millions d’euros… à la louche ça doit coûter entre 10 et 15 millions d’euros, à peine la moitié de ce que le gouvernement vient de mettre dans la carte musique jeune.
  • La sécurité des particuliers : là par contre, il faut bien l’avouer, c’est le Far West. L’offre se concentre principalement autour d’un système d’exploitation, Microsoft Windows qui en bon leader est le plus attaqué. Et sur Windows, on trouve de tout : antivirus, firewall, solutions de contrôle parental, solutions anti fishing… Open Office …. De ces solutions nous en retiendrons principalement 2 vu que toutes les autres peuvent être remplacées par un usage simple du cerveau (user side). Nous conserverons donc l’antivirus et le firewall. L’antivirus étant par définition utile quand c’est déjà trop tard (une fois que la machine est infectée), il nous reste le firewall qui contrôle ce qui rentre et ce qui sort de la machine.

Ici, on s’interroge donc sur quel(s) type(s) de solution(s) la HADOPI va pouvoir jeter son dévolu. Procédons de manière simple en nous remémorant ce que stipule le texte de loi : « moyen de sécurisation de l’accès Internet« … et ben on est pas dans la merde. On ne vous demande pas de sécuriser votre ordinateur, ni votre box… mais votre « accès Internet ». Si l’HADOPI veut prendre le texte au pied de la lettre, je vois assez mal comment elle pourrait ne pas se laisser tenter par compléter le dispositif de sécurisation situé chez l’utilisateur par un autre dispositif, placé sur le réseau de l’opérateur, et qui viserait à « dépolluer » l’Internet ou policer les internautes.

La CCIA s’inquiète donc à juste titre car de tels outils, par exemple à l’échelle d’un cloud ou pour du du Software as a Service (SaaS)… on a beau jurer par tous les grands dieux que le filtrage  que c’est totalement transparent… et bien permettez moi d’en douter. Jean-Paul Smets de la société Nexedi a déjà mis en garde à ce sujet après une expérience grandeur nature contre son gré, suite à la mise en place d’un filtrage par Eircom en Irlande : “il y a deux semaines environ, nous avons constaté que l’accès aux serveurs d’application en France s’était dégradé de façon inimaginable pour l’un de nos clients situé en Irlande. Nous sommes ainsi passé d’un temps d’accès de 1/2 sec à 4 sec.” (…) “Ce que nous avons remarqué, c’est que cet incident est arrivé au même moment que le filtrage mis en place par le fournisseur d’accès Irlandais Eircom que notre client utilise” .

L’invective de la CCIA me semble donc parfaitement légitime, ce qu’elle demande c’est un laissé faire, mais là où je vais rejoindre Ludovic, c’est qu’il ne faut pas non plus que ce laisser faire se transforme en laisser aller.

La vaste escroquerie des services gérés.

Après des années années de « ranafout' » voici que les fournisseurs d’accès s’intéressent maintenant à l’acheminement de communications prioritaires. Et là comment vous dire ça sans ménerver… cette histoire de services gérés qui nécessiteraient l’usage d’outils comme le QoS et le trafic shaping afin de préserver l’usage d’un service (dans 99,99% des cas, payant) au détriment d’autres services (dans 100% des cas gratuits oui dans lesquels le FAI n’a rien à gagner), est dans certains cas une splendide escroquerie intellectuelle. Si pour l’Internet filaire on ne rencontre pas encore de manifestations inquiétantes de FAI trop zélés, il en est tout autrement sur les services d’accès à l’Internet mobile

Non vous ne me ferez pas croire qu’il est nécessaire, sur le réseau d’un opérateur mobile, de filtrer la voix sur IP ou que le surf en tethering, sous prétexte que cela consomme de la bande passante et met en danger le bon fonctionnement d’un réseau 3G. La vérité est toute autre, si la VOIP ne fonctionne pas c’est que l’opérateur mobile est avant tout un opérateur téléphonique qui se rémunère à prix d’or sur un réseau qui ne lui coûte quasiment rien. Ce même opérateur, pour que vous puissiez utiliser votre navigateur de votre ordinateur en 3G, préfère évidemment que vous achetiez chez lui une clef 3G avec un abonnement dédié alors que votre téléphone peut tout à fait remplacer votre clef 3G. Bref, ces opérateurs se foutent complètement de vous. Pas convaincus ? Alors expliquez moi pourquoi tous proposent  des abonnements mobiles GSM/3G /EDGE (aux environs de 2 fois le coût d’une connexion ADSL) qui vous proposent de la TV en illimité sur les réseaux 3G. La vidéo, streamée est évidemment bien plus consommatrice de bande passante que surfer sur le web en tethering. En aucun cas le fait d’assurer une qualité de service ne saurait justifier le bridage de la voix sur IP ou du tethering. Il s'(agit d’une atteinte manifeste à la neutralité des réseaux et en plus, les opérateurs se payent le luxe d’appeler ça de l’Internet illimité (une situation qui en pratique ne change pas vraiment depuis les déclarations de bonnes intentions à l’issue du colloque de l’ARCEP.

Un traitement de faveur pour le DPI ?

A l’heure actuelle de nombreux opérateurs expérimentent ou utilisent le DPI pour manager leur réseau, ceci est un usage correct de ces technologies, mais pour franchir le cap de la discrimination des contenus et des services de tiers, il n’y a qu’un pas. Et pour ne pas le franchir, il faudra que le législateur se prononce. Le seul hic, c’est que je le vois très mal dire aux FAI de ne pas détourner l’usage du DPI à des fins de discrimination des contenus du voisin si par malheur il autorisait aux ayants-droit un usage contre nature de ces mêmes outils à des fins de reconnaissance des contenus pour nettoyer Internet des contenus dit illicites car soumis à droit d’auteur. Et comment déterminer si un contenu est illicite ? C’est simple, il suffit par exemple de dire que tout mp3 sur un réseau P2P est illicite, que tout fichier vidéo entre 650 et 720 Mo est un divx piraté… C’est donc la négation parfaite d’une exception au droit d’auteur, le DPI se fichera bien de faire la différence entre un divx mal acquis et un divx légalement acquis et encodé par son propriétaire qui transite sur le réseau pour que ce dernier puisse par exemple le visionner sur son lieu de vacance. Tout fichier est suspect, tous les internautes sont coupables…

Conclusion

Oui, il faudra que le législateur intervienne (et ce n’est pas fait pour me réjouir) en se prononçant sur la neutralité des infrastructures. Une concurrence locale accrue est une bonne garantie, les petits acteurs pourront surveiller les gros et plus nombreux seront ces acteurs, plus le service gagnera en qualité et plus nous aurons des chances de conserver un Net ouvert et neutre. Autre effet bénéfique, les collectivités ne se trouvant pas en zone assez denses pour que les « gros » opérateurs ne daignent s’y établir, auront le loisir de confier des délégations de service public à des acteurs locaux, impliqués au sein de leur région, de leur département, et même de leur commune… tout le monde a donc à y gagner et c’est même peut-être là l’occasion de rattraper notre retard dans l’accès au très haut débit.

Il me semble aussi impératif de fixer légalement des limites à l’usage de technologies de Deep Packet Inspection et d’inscrire dans la loi que ces dernières ne doivent en aucun cas servir à des fins de discrimination, ni a toute pratique susceptible de violer les correspondances des utilisateurs du réseau. En pratique, je doute que le moment soit opportun car je n’ai qu’une confiance très limitée en notre représentation nationale pour comprendre toute la mesure des enjeux de ces questions, et je crains fort que nos députés et sénateurs ne se limitent à une vision franco française d’une problématique de nature internationale dont les enjeux sont capitaux pour notre compétitivité à l’international.

/-) Un énorme merci au channel IRC de FDN

Fibre optique : Numericable persiste à se foutre de la tronche des internautes

pipeau très haut débit
Le pipeau très haut débit by Numéricable

Souvenez vous le plan Numerique 2012 d’Eric Besson, un plan ambitieux dans lequel la France prenait le leadership numérique européen… ah sur le papier ça claquait bien ! Fin 2010 où en sommes nous ?

Et bien il faut noter dans un premier temps que le plan Numérique 2012 a eu à patir de 2 choses qui l’ont sérieusement plombé :

  • La crise économique et financière qui a freiné les investissements des fournisseurs d’accès, même si ces derniers le nient et continuent à raconter des balivernes à la presse…
  • Une Nathalie Kosciusko-Morizet complètement aux fraises sur le déploiement de la fibre optique (tout comme sur les autres dossiers où elle était d’ailleurs attendue : Hadopi, article 4 de la Loppsi, RGI ….)

Pourquoi je suis pas content ?

Et bien mes alertes Google me remontent ce matin une nouvelle communication de Numéricable qui est un superbe pipeautage. Figurez vous qu’à en lire ce billet, Paris serait la capitale européenne de la fibre optique… rien que ça. Je cite :

« Numericable a annoncé avoir raccordé son millionième foyer parisien au Très Haut Débit par la fibre optique, valant à Paris de devenir « la capitale européenne de la fibre optique », a ajouté le câblo-opérateur. »

Bon on arrête tout de suite les idioties

Tous opérateurs confondus, en juin dernier, il y avait en France moins de 80 000 foyers qui bénéficiaient effectivement de la fibre optique. 365 000 comptes Internet pouvaient accéder à des connexions de 100 Mbit/s, ce qui veut dire que seulement 285 000 foyers bénéficiaient du 100 mégas Canada Dry de chez Numéricable.

Encore plus fort, certains fournisseurs d’accès prétendent que c’est le public qui est long à adopter la fibre, comprenez que les gentils opérateurs l’installent et que vous, abonnés Internet, préférez rester sur votre bonne vielle connexion 20 mégas. Mais de qui vous foutez vous là au juste messieurs ?

Les faits c’est que la France n’est pas loin d’être bonne dernière en Europe sur le déploiement de la fibre optique, c’est une véritable HONTE ! Le très sérieux FTTH Council Europe place la France en 15e position du classement des pays européens les plus fibrés… 15e sur 17 ! Soit avant, avant dernier !!

Et vous venez nous parler de leadership européen ?

Numérique 2012 ? Mais quelle blague ! La France est tellement à la traîne qu’elle ne trouve rien de mieux que de proposer dans un rapport parlementaire, de taxer dés 2012 les abonnements à l’Internet fixe… et ceci viendra en plus de la hausse des prix déjà prévue, et qui sait, un jour, en plus d’une licence globale.

Explications :

Quand un opérateur dit qu’il a raccordé un foyer, ceci veut dire 8 fois sur 10 que la fibre ne passe pas loin de l’immeuble, mais en aucun cas que ce même opérateur à entammé son déploiement vertical (installation des prises optiques chez les particuliers et tirage de la fibre dans les fourreaux de l’immeuble).

Certe pour Numéricable, c’est très différent, l’opérateur, avec sa technologie Canada Dry, n’a pas même besoin de rentrer dans les immeubles puisqu’il ne fait pas du FTTH mais du FTTLA (Fiber to the last amplifier) : la fibre arrive quelque part près de chez vous mais pas chez vous, les derniers mètres utilisent le réseau coaxial du câblo opérateur. Il en résulte que Numéricable déploie plus vite que les autres, à moindre coût, mais surtout, au final il propose un service ridicule pour ce qu’on serait en droit d’attendre de la fibre optique : 100 mégas en vitesse descendante, et 5 pauvres petits mégas indignes en envoi de données. Le cuivre ne sait pour l’instant pas faire mieux, du coup on a bien de la puissance fibre en download, mais on aussi et surtout de la puissance cuivre en upload. La technologie utilisée par Numericable ne fait en rien de la France une grande nation du très haut débit, ou alors du « semi très haut débit ».

N’essaye même pas !

Pas la peine de me justifier ce choix technologique par une excuse du style « oui mais les internautes ils downloadent plus qu’ils n’uploadent« , si c’est le cas c’est du au choix historique de l’ADSL, il ne s’agit aucunement d’un usage naturel du Net. Maintenant avec HADOPI qui prohibe le P2P, ils vont même uploader beaucoup moins. Mais il est évidemment préférable pour un opérateur d’avoir plus de débit descendant vers l’utilisateur pour  lui vendre des beaux contenus HD, que de lui laisser de l’upload et que l’abonné finisse par comprendre qu’Internet c’est pas « que » une télévision HD.

La raison du choix de Numericable uniquement guidée par des impératifs économiques, le FAI est détenu par des fonds de pensions américains, et c’est de la rentabilité qu’on lui demande, surement pas d’offrir un accès Internet neutre et de qualité.

La super méga Haute Autorité Indépendante de l’Internet civilisé

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CC by Fabrice Epelboin

On se doutait bien que qu’avec toutes ces créations d’autorités indépendantes, au bout d’un moment, on allait chercher à les concentrer afin d’en absorber certaines, dans le but d’arriver plus rapidement aux objectifs fixés, en 2007, par l’Elysée. Dans cette jungle nouvelle des autorités administratives indépendantes, il y en a deux assez particulières, la HADOPI (Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet) que l’on présente plus, et l’ARJEL (Autorité de Régulation des Jeux en Ligne) qui a voulu instituer en France le blocage des sites web sans juge. Les deux autorités portent sur des contenus et services en ligne, certains verront donc une certaine cohérence à les unifier en une seule et même autorité indépendante puisqu’il est entendu qu’à terme, elles utiliseront les mêmes armes (outils de reconnaissance de contenus et blocage et filtrage de sites… DPI, BGP, mouchards filtrants, bref tous les outils indispensables pour civiliser Internet). Voir s’unifier HADOPI et ARJEL vous parait impossible, pas à l’ordre du jour ? Dangereux ? Attendez, c’est après qu’on se mange un vrai coup de civilitude

On va bien te civiliser

Et c’est là qu’intervient un bon gros rapport parlementaire relatif aux autorités administratives indépendantes, oeuvre du Comité d’évalution et de contrôle des politiques publiques, porté  par les députés Christian Vanneste (UMP) et René Dosière (PS). Dans ce rapport, les députés concluent à un nombre trop important d’ Autorités Indépendantes. A la page 27, on apprend que ce sont 40 autorités indépendantes qui ont été créées en France depuis l’apparition de la CNIL en 1978, avec une nette accélération des créations de ces autorités administratives la décennie passée avec en moyenne, une création par an.

Bien entendu, ce rapport ne pouvait passer à côté du cas HADOPI. Mais loin d’en venir à mes conclusions déjà alarmistes au sujet d’un rapprochement ARJEL/HADOPI, le rapport préconise carrément un rapprochement entre l’HADOPI, l’ARCEP et le CSA ! Le parfait comité de censure de la République, un seul pour les gouverner tous, les réseaux, les contenus, les servicesT’es bien civilisé là toi l’internaute non ? On commence en page 54 à aborder le problème HADOPI, un rappel de l’épisode constitutionnel, puis page 77 on trouve une perle, dans laquelle les députés s’intérogent sur la justification de l’existence de l’HADOPI :

« Dans ce contexte les rapporteurs s’interrogent sur la justification del’existence de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection desdroits sur Internet (HADOPI). Il s’agit une fois de plus d’une réponse ponctuelle à un problème spécifique. Certes la création d’une nouvelle autorité indépendante chargée de surveiller le respect des droits et de lutter contre le piratage jouit d’une visibilité maximale pour les auteurs. Mais on peut se demander pourquoil’ARCEP, chargée de réguler les communications électroniques, dont fait partiel’Internet, ne pourrait pas en être chargée. A contrario, les difficultés rencontrées par la HADOPI sont patentes : l’envoi des premières lettres d’avertissements a été retardé de semaine en semaine ; un des principaux fournisseurs d’accès, Free, a annoncé publiquement qu’il ne souhaitait pas relayer les messages d’avertissement auprès de ses abonnés… Les rapporteurs sont donc d’avis d’intégrer la HADOPI dans l’autorité qui remplacera à la fois le CSA et l’ARCEP.(…) Les rapporteurs sont donc d’avis d’intégrer la HADOPI dans l’autorité qui remplacera à la fois le CSA et l’ARCEP ».  La date du passage à la TNT est même envisagée le 30 novembre 2011.

Ce rapport ne semble pourtant pas animé de mauvaises intentions, il invite même à un rapprochement de cette super méga haute autorité super indépendante à travailler de concert avec l’association le Forum des Droits de l’Internet, c’est bien tenté mais cette dernière semble appelée à mourir très prochainement. Mais les deux rapporteurs sont  à mon sens loin de se douter du monstre mutant à 4 têtes qu’ils sont en train de fabriquer. Pire, cette conclusion pourrait être très exactement ce qu’attendait l’Elysée, souvenez vous par exemple de Frédéric Lefèbvre en train de plaider pour confier Internet au CSA, CSA que l’on retrouvait par exemple au colloque de l’ARCEP sur la neutralité des réseaux… la labellisation des sites web, ça ne vous rappelle rien ? Pourtant on en avait parlé pour HADOPI… Même Christine était d’accord… et ça remonte à 2008 ! Votre site sera labellisé par l’Etat, avec une cocarde « presse », « culture », « blog d’emmerdeur »… sympa non ? Je vous sens tout civilisés là…

L’erreur de cette proposition se situe vraiment au niveau de ce que le législateur, sous pression de l’Elysée, a voté sans aucun moment se rendre compte de ce qu’il avait engendré. Jamais le spectre d’un big brother sur le Net français n’aura autant planné. Tout est en place, tous les outils de la censure sont là, unifier tout ce petit monde, leurs armes, et leur champs d’applications (services, réseaux, contenus), c’est créer quelque chose de dangereux et de… suspect. Je n’ai pas la compétence de juger pour les cas des autres autorités administratives, du bien fondé de démarches de rapprochements, mais sur le volet Internet, je ne saurais trop mettre en garde messieurs Vanneste et Dosière sur une fausse bonne nouvelle idée, qui serait de confier Internet, qui n’a toujours pas de ministère, à un monstre contre nature disposant du corpus législatif (HADOPI, LOPPSI, ARJEL, DADVSI …) et des outils (blocage/filtrage des sites, labellisation, spectre du mouchard, contravention pour négligence caractérisée,  double/triple peine, … ).

Il est beau votre Internet civilisé… mais tout ceci est bien trop administratif et pseudo indépendant pour qu’Internet reste un réseau neutre et ouvert.

DPI over SSL, pour un Internet vachement plus civilisé

SonicWall NSA E7500 DPI SSL
SonicWall NSA E7500

Alors que des rumeurs de bridage, déjà en place, du moins en expérimentation chez certains fournisseurs d’accès font leur chemin, les internautes cherchent logiquement une parade et plus globalement des solutions contournement de toute cette faune nouvelle de la surveillance. Parmi les solutions les plus extrêmes que les ayants-droit aimeraient mettre en place pour « dépoluer » Internet, il y l’inspection en profondeur de paquets. Les VPN peuvent paraître une réponse séduisante au DPI, car l’usage d’une technologie de reconnaissance de contenu serait soit disant inopérante sur des flux chiffrés. Et bien j’en doute.

Il faut d’abord que nous soyons d’accord sur le périmètre du DPI pour comprendre de quoi on parle. Le Deep Packet Inspection est une technique faisant appel à plusieurs outils. Ces outils analysent des flux réseaux aussi bien que les paquets eux mêmes. On demande ensuite à une puissance de calcul d’exécuter des actions de routage, de drop, de trafic shaping, de QoS, sur des flux, en fonction de règles prédéterminées. Si on lui dit de faire quelque chose de débile, il fera quelque chose débile, il s’agit d’une loi cybernétique. Et à votre avis, comment réagit une IA quand on lui demande « drop moi tous les paquets illégaux ? »…. Et bien la machine vous demandera de définir le terme qu’elle ne comprend pas, le terme « illégal ». Même sans avoir à casser un chiffrement à la volée, de la simple reconnaissance de signatures, du marquage de paquets, une règle basée sur la taille… et hop, même votre DivX a du mal à passer d’un point à un autre du réseau. Il faut bien comprendre que ces règles ne s’appliquent donc pas simplement à un paquet, mais peuvent l’être à un flux réseau (le paquet et son contexte), à un protocole (bridage d’un port)…

Il y a deux points dérangeants dans cet usage du DPI :

1° les règles de filtrage qui entrainent une altération du réseau alors que celui-ci n’est physiquement pas menacé est une atteinte à sa neutralité ;

2° l’usage d’une technologie de reconnaissance de contenu c’est l’utilisation d’outils particulièrement intrusifs car détournés de leur vocation initiale.

Dans cet effort fait pour « civiliser notre Internet« , des constructeurs, qui ont senti le bon filon, annoncent des solutions d’inspection de paquets et de reconnaissance de contenus, même dans des flux chiffrés.

C’est le cas de LOPPHOLD en juin dernier qui avec son nouveau SONIC OS 5.6, annonçait capable de réaliser une inspection de paquets sur un flux chiffré en SSL.

« SonicOS 5.6 introduces SonicWALL’s new DPI-SSL feature, which does not rely on a proxy configuration on the end points to provide optimised protection against today’s encrypted threats and to enforce corporate data policies. The technology can inspect inside all SSL sessions across all ports, independently of the protocol, resulting in both encrypted and decrypted data being scanned, monitored and protected. »

Sincèrement, je ne sais trop quoi penser de cette déclaration très marketing mais techniquement, une intégration poussée de SSLSniff est loin d’être délirante. Il me semble cependant que la gamme SonicWall n’est pas adaptée à une écoute en coeur de réseau (son débit de traitement doit-être relativement limité, le haut de gamme, le E7500 annonce 8000 connexions chiffrées simultanées). Vous pouvez télécharger un PDF assez explicatif ici.

De là à se demander s’il n’existe pas des équipement de classe ISP, il n’y a qu’un pas. D’un point de vue puissance de calcul, le cassage à la volée n’est peut-être pas à l’ordre du jour, mais avec les nouvelles gammes d’équipements promises par certains équipementiers ça risque d’arriver plus tôt que prévu.

La neutralité du Net au Sénat

Office de Minitellisation du Web Français
Office de Minitellisation du Web Français

Il se tenait hier une table ronde sur la neutralité du Net au Sénat. Le débat, qui pouvait  être suivi depuis le site du Sénat en Streaming, il était composé de 2 tables rondes :

  • une sur la neutralité des réseaux
  • une autre sur la neutralité des contenus

… ça laissait augurer des choses assez agaçantes relatives aux contenus, ça n’a pas manqué. Nous étions restés sur la consultation de l’ARCEP (voir les vidéos) où le secrétariat d’Etat à l’Economie Numérique concluait à une quasi neutralité et posait la question de la liberté d’accès aux contenus légaux. Un mot lourd de sens qui ouvre la boite de Pandorre, à savoir l’utilisation de technologies d’inspection de paquets en profondeur (Deep Packet Inspection) afin de faire de la reconnaissance de contenus pour « dépolluer Internet » comme certains aiment à le décrire.

La première table ronde sur la neutralité des contenus était comme à prévoir une franche rigolade. Jérémiades habituelles, le réseau est saturé, on va tous mourir, la création en premier… vous connaissez la suite, je me suis demandé à quel moment ils allaient demander la mise en place d’une vignette IPV4 pour dédommager l’industrie du disque du nombre d’iPod vendus dans le monde et qui ont tué les CD. Ce n’est qu’en conclusion de cette table ronde, que le mot de filtrage est lancé. Le terme à retenir, pas de nouveauté, c’est les contenus « légaux ».

La seconde table ronde, tout de suite plus sérieuse avec les représentants de l’INRIA ou de l’UFC Que Choisir, était tout de suite d’un tout autre tenant. Bernard Benhamou a fait quelques rappels assez bienvenus sur la nature du réseau Internet, pareil du côté de l’INRIA, et Edouard Barreiro de l’UFC Que Choisir a, comme on s’y attendait tenu un discours limpide sur les dangers du filtrage et les dangers d’un Internet à 2 vitesses, celui du riche et celui du pauvre, insistant lui même sur la fin (ironiquement?) sur la notion de contenus « légaux ».

Nathalie Kosciusko-Morizet est venue conclure et j’ai cru déceler dans ses conclusions quelque chose d’assez différent de ce qui en était sorti à l’ARCEP. Il semble que beaucoup de choses aient évoluées depuis le colloque de l’ARCEP et on nous a épargné le coup de l’Internet Quasi Neutre (et par définition, quasi pas neutre). NKM a par exemple fait remarquer fort justement que la thématique dissociant les contenus du réseau n’était peut-être pas une bonne approche et que si le réseau est neutre, alors on a même plus besoin de se demander si les contenus le sont. J’abonde personnellement en ce sens puisque déployer des technologies de reconnaissance de contenus c’est, par définition, rendre le réseau non neutre (en opposant une intelligence, restreint le routage des paquets, en y posant un critère qui n’impacte pas sur son propre bon fonctionnement mais sert des demandes de tiers).

Attention, ne nous enflammons pas, le filtrage reste au programme, les technologies de reconnaissance de contenus  sont toujours autant portées par les ayants-droit et avec le nouveau petit cadeau à 25 patates, on se dit que ça finance largement le déploiement du DPI en coeur de réseau, que dans un excès de cynisme, ayants-droit et fournisseurs d’accès Internet vendraient sur abonnement pour contourner les problèmes de viol de correspondance qui demeurent un sérieux obstacle à sa généralisation.

Si légiférer sur la question  de la neutralité du Net et sur les outils de reconnaissance de contenus par extension peut sembler séduisant pour Nathalie Kosciusko-Morizet qui l’a même proposé aux commissions., il me semble surtout vital de ne pas se voir mettre en place des technologies que l’on détournerai pour servir des intérêts privés. Nous avons surtout besoin d’acteurs forts.

Et que feriez vous si …

Allez, fermez les yeux et imaginez le pire. Imaginez un instant que votre fournisseur d’accès ait placé à votre insu, un mouchard dans votre box. Ce mouchard pourrait par exemple servir à écouter vos conversation, il serait activable à distance de manière totalement transparente pour votre utilisation quotidienne… Que feriez vous ?

Ne flippez pas tout de suite, c’est juste un petit sondage comme ça pour prendre la température. Et du coup ça me permet de faire un peu de pub pour l’excellent service de 123votez 😉

sondage

Notre Internet est malade, ne l’achevez pas…

Il n'est pas trop tard

Bon, c’est pas la première fois que je peste sur les VPN qui pourrissent notre Internet. Mais à la lecture d’un commentaire sur le billet précédent, je viens de m’apercevoir que ce qui parait évident pour certaines personnes, est loin d’être acquis pour tout le monde. Je commence à peine à prendre la mesure des dégâts d’HADOPI sur notre Internet. Aujourd’hui je dois vous avouer que je suis particulièrement inquiet et énervé de voir des internautes qui se ruent sur ces solutions de _merde_ pour tenter de contourner une loi de _merde_… Résultat, c’est l’Internet qui trinque et l’Internet c’est vous tous.

Pour comprendre de quoi je parle, il faut certaines bases qui font autant défaut aux personnes qui ont porté HADOPI, qu’aux personnes crédules qui se ruent sur les VPN en pensant qu’ils résoudront tous leurs problèmes.

L’Internet est un réseau acentré et ouvert. Chaque machine reçoit et émet des données. Pour que ceci soit possible, elles ont besoin de se voir ces machines. Aujourd’hui elles se voient encore à peu près, où qu’elles se trouvent . Ce sont ces machines, situées en extrémités du réseau qui sont sensées apporter au réseau son l’intelligence. En masquant ces extrémités, en cherchant à disparaitre, vous amputez le réseau de son intelligence et vous laissez aux FAI comme marchands de minitel en haute définition, un boulevard pour qu’ils apportent leur intelligence à eux.

Oui je suis en rogne, car l’usage massif des VPN  ou des solutions d’anonymat pour le téléchargement, c’est la mort de l’Internet ouvert !

  • En adoptant les VPN pour télécharger vous êtes en train de transformer l’Internet en Minitel !
  • Vous êtes en train de laisser gagner les gens qui cherchent à vérouiller le Net !
  • Vous verrouillez le Net vous même !

Réveillez vous bordel !

En cherchant à disparaitre d’Internet vous tuez un bout de l’Internet, vous luttez contre le réseau… c’est complètement stupide !

Les solutions d’anonymat sont nécessaires pour l’exercice de libertés, par exemple pour des journalistes ou pour des opposants politiques de certains pays dont nous ne faisons pas encore partie. Les utiliser pour se cacher de son propre Etat à cause d’une loi aussi débile qu’HADOPI est une solution extrême, un pas de plus vers une escalade inacceptable pour les valeurs auxquelles nous sommes tous plus ou moins consciemment attachés. En cela, HADOPI est une loi terroriste, qui par effet non mesuré par ses géniteurs, est en train de TUER notre Internet.  Si le mal trouve ses origines dans les mesures d’un gouvernement qui n’a pas su mesurer le risque qu’il encourait en les prenant, ne lui donnez pas raison, par pitié, faites lui remarquer en vous exprimant mais pas en vous cachant.

Vous cacher c’est renoncer alors que vous êtes dans votre bon droit et c’est au moins aussi irresponsable que d’avoir voté HADOPI.