Toujours suite à cette magnifique série d’interviews réalisée par l’ARCEP, en voici une qui a de quoi faire bondir n’importe qui. Même sans être internaute ou pire, « absolutiste de l’Internet » pour reprendre l’expression de Frédéric Mitterrand, on sent que Pascal Rogard s’empêtre dans le schéma désormais devenu un classique : celui du moine copiste de DVD Vs les internautes qui sont tous des voleurs et qui tuent des artistes … même s’il n’est toujours pas fichu de nous communiquer une étude sérieuse sur le sujet… vu que les études sérieuses et de sources indépendantes disent exactement le contraire… Même s’il ne veut pas entendre parler d’étude d’impact faisant le bilan de la débilité de la politique menée jusque là, j’ai nommé les DRM.
Avant toute chose, histoire de ne pas me qualifier de pirate absolutiste anonyme travestissant les propos de personnes de super bonne foi, je vous demanderais de visualiser avec attention cette vidéo.
On commence en plongeant directement dans la caricature grotesque, histoire de ne pas perdre de temps et de poser des bases solides à ce qui va suivre : «il y a ceux qui disent que tout doit circuler librement et qu’Internet est une zone de non droit». Ah… voici une première information interessante sur la perception que Pascal Rogard a du Net… Depuis quand la libre circulation de l’information fait d’Internet une zone de non droit ? La liberté d’expression fait-elle d’une démocratie une zone de non droit ? La libre circulation des personnes a t-elle fait de l’Europe une zone de non droit ? La vision de Pascal Rogard sur ce point me laisse pantois. Comment une personne d’apparence si instruite peut elle faire ce genre d’amalgame pitoyable ?
Maintenant que le ton est donné, tout y passe, à commencer par la plus grosse énormité que j’ai pu relever jusque là dans cette excellente série d’interviews de l’ARCEP: «le Net est destructeur de valeur pour la création». Comme je sais par ailleurs que Pascal Rogard est tout sauf un imbécile, on va mettre ça sur le compte d’un bon mot, d’une phrase choc, directement à destination des pouvoirs publics dont il abuse allègrement de l’e-gnorance pour obtenir le beurre, l’argent du beurre (pour ça c’est déjà dans la poche), et maintenant le cul de la crémière. Pour répondre simplement à Monsieur Rogard, je lui signifierais quelque chose qu’il sait parfaitement : si dans 2 ans son business n’est pas sur Net, c’est qu’il est appelé à mourir. Ne croyez pas ceux qui vous disent que mourir n’est pas facile. On notera également l’aberration économique qui est la confusion (volontaire) entre la notion de valeur et de profit financier… ou alors il faut m’expliquer par quelle loi anti-gravitationnelle un téléchargement d’oeuvre parvient à en réduire sa valeur. Parlons justement profit financier, comment les sociétés de gestion collective comptent expliquer ceci. C’est assez facile de crier à la crise à cause de l’Internet, de virer des salariés, et de s’octroyer de substantielles augmentations … c’est de la faute d’Internet ça aussi ? Ou c’était juste de petites augmentations pour fêter Hadopi ? J’y vois comme un certain contraste quand Pascal Rogard dit défendre la création … et les créateurs.
Puis, histoire de bien prouver à tout le monde qu’il ne sait pas de quoi il parle, Pascal Rogard affirme que : «non je n’ai pas de définition de la Net Neutralité, par contre je sais que la Net Neutralité ça peut pas être la Net impunité». Ca c’est la seconde phrase choc ! A traduire par « ce n’est pas parce que je ne sais pas de quoi on parle que je n’ai rien à dire ».
Sur la question des enjeux du débat : Pascal Rogard découvre le Net «le centre de la valeur sur Internet n’est ni chez les réseaux, ni chez les créateurs»… là encore pour répondre simplement à Monsieur Rogard, s’il y avait une centralisation de la valeur sur Internet, on appellerait ça le minitel. Internet, acentré, valeur aux extrémités du réseau, … Benjamin Bayart explique ça très bien, il serait de bon ton que Monsieur Rogard s‘instruise une petite heure pour éviter de dire ce genre d’ineptie.
Ensuite, on retrouve une idée que tout le monde s’étonnait d’entendre de la bouche de Nicolas Sarkozy : «c’est pour ça que par exemple je vais proposer la mise en place d’une taxe sur des entreprises qui font de la recherche et que je trouve que ces gens là ont beaucoup de ressources et financent peu la création» … Si besoin en était, on sait maintenant qui bourre le mou présidentiel … Pascal Rogard oublie un léger détail, il n’est pas élu de la République, il n’a donc rien à proposer en matière fiscale.
Pascal Rogard nous fait ensuite la splendide démonstration Myardienne, de manière fort habile, qu’Internet c’est le mal. Car vous ne le saviez peut être pas mais Pascal Rogard milite « en faveur de la protection de la vie privée« , et son Internet à lui, comme celui de Jacques Myard, le profile, le piste, le trojanise, l’oppresse, le viole et le vole… bref encore une personne qui confond Internet avec le tandem Windows/Internet Explorer (bien connu sous le nom générique d’ « aspirateur à spywares et autres virus »). Et oui Monsieur Rogard, vous seriez surpris de voir à quel point « mon Internet à moi » est plus propre que le votre… Allez je vous donne une piste et une autre, et encore une autre pour encore plus de propreté.
On attaque ensuite un truc super en rapport avec la Net Neutrality : «ceux qui piratent c’est quand même une énorme lâcheté, très très lâche, parce que ce sont des gens qui sont cachés, ils ne seraient même pas capables d’aller voler quelque chose dans un magasin, ils utilisent des outils technologiques (…) il m’interpellent dans les blogs et sont cachés par des pseudos (…) ce qui caractérise la piraterie c’est la lâcheté». Et hop, voilà qu’on nous ressert le couplet des internautes lâches et anonymes qui ne font rien que diffamer des gens toujours irréprochables. Vivement une police internationale de l’Internet, vivement une nationalisation de l’Internet !
Alors premièrement Monsieur Rogard, vous avez tendance à assimiler tous les internautes qui vous interpellent à des pirates, comme s’il fallait être un « pirate » pour relever les âneries que vous débitez à flux tendu et prendre la mesure de toute la mauvaise foi dont vous êtes capable. Et comme on n’en est plus à un amalgame idiot près, vous nous sortez le couplet réchauffé de l’anonymat très relatif des internautes qui vous interpellent. Etrangement, quand Nadine Morano veut savoir qui se cache derrière une adresse IP ou derrière un blog, elle y arrive.
Et quand on demande à Pascal Rogard ce qu’il attend, c’est avec un formidable aplomb qu’il nous lâche «j’attends que les lois de la République soient appliquées» … S’il n’y avait pas là une petite subtilité sémantique de votre part, nous serions parfaitement d’accord… mais non Monsieur Rogard, ce que vous attendez c’est qu’on fasse des lois rien que pour vous et que l’on tienne votre profession sous perfusion, c’est exactement ce que vous avez tenté de faire avec HADOPI 1, ce que vous avez réussi très partiellement avec HADOPI 2, ce que vous nous préparez avec HADOPI 3, et ce que vous venez de nous dire très explicitement avec votre « taxe Google ». Et le plus drôle là dedans, c’est que vous vous faites passer pour assez naif en émettant l’idée que des mails de l’HADOPI (Autorité que vous êtes au passage le seul à qualifier de «compétente», ce qui ne manquera pas d’en faire rire plus d’un) puissent partir prochainement. Permettez moi d’écraser une larme, je vous garantis que c’est pas demain la veille … vu l’équipe de bras cassés qui rédige les décrets d’application ou qui va devoir se taper les spécifications du logiciel de « sécurisation » sans lequel aucun mail ne partira (rendez vous en juillet 2012).
Vous avez quand même le bon goût de conclure sur l’offre légale, mais quel crédit vous donner quand celle ci a été absente de l’intégralité des débats d’HADOPI 1 et HADOPI 2 ?
On vous a vu franchement plus en forme Monsieur Rogard.