Quand on voit le traitement médiatique réservé à l’affaire Wikipedia vs DCRI et les commentaires qui fleurissent avançant la théorie du complot, on se rend compte qu’un climat de défiance malsain est en train de s’installer entre les autorités et les citoyens. Quelque chose ne tourne pas rond. Je vous expliquais hier que je commençais à m’alarmer d’observer le traitement médiatique fait à cette affaire sans que personne ne semble vouloir se poser des questions les plus basiques pour juger de la légalité de l’action de la DCRI. Une immense majorité de la presse semble n’avoir que faire de ces questions et préfère se focaliser sur l’effet Streisand engendré par ce qui demeure, j’en suis convaincu, de l’ordre de la boulette d’une entité tierce (que je soupçonne plutôt grande et plutôt muette).
Comment la taupinière a t-elle accouché d’une montagne ?
Ça commence par de multiples imprecisions : la presse martèle que la demande de la DCRI ne s’appuyait sur aucune justification légale et que la DCRI n’avait argué que du sacro saint secret défense. Combien de journalistes ont mis en perspective le fait que des explications plus appuyées à la Fondation US Wikimedia reviendraient à révéler le secret défense (ou à donner de sérieux indices) qui est justement l’objet de sa demande ? Il y a ensuite ce petit détail qui semble échapper à tout le monde; la place Beauvau dans son communiqué en réaction à la dépêche AFP précise :
« Dans un état de droit, on ne peut pas assimiler à une menace l’engagement d’une procédure judiciaire »
Allo la presse ? une « procédure judiciaire » ! Chère presse, tu dis un peu de la merde quand tu fais passer la DCRI pour des cowboys. Si cowboy il y a, peut être faut-il gratter un peu pour savoir qui a vraiment pris la décision d’écouter Wikimedia France qui n’a aucun autre rôle que de promouvoir et soutenir Wikipedia, une personne physique et non morale, dont le seul tort était d’avoir les droits d’administration du site et donc le pouvoir de retirer une page. Un pouvoir bien dérisoire quand on connait un peu l’organisation et le mode de fonctionnement de Wikipedia puisque la page est très vite revenue en ligne et à même été traduite dans plusieurs langues.
Chère presse, pourquoi ne te demandes tu pas s’il y a une plainte de déposée et de qui elle émane ? Pourquoi ne te demandes tu pas pourquoi Wikimedia n’a pas fait l’objet d’un référé judiciaire, comme il est de coutume quand on veut gérer l’urgence ?
Pourquoi ne te demandes tu pas si la boulette ne peut pas venir d’ailleurs que la seule DCRI ? C’est parce que c’est la DCRI qui s’est occupée de l’affaire et que généralement, on aime bien mettre la DCRI au centre de tous les lulz avec pour référent culturel les Barbouzes que l’on aime associer à des pieds nickelés ?
Tu ne crois pas un instant plausible qu’une autre instance de l’état, ou même qu’un magistrat ait pu se fourvoyer au point d’ignorer ce qu’est un effet Streisand (et par là même en sortant de ses prérogatives qui n’ont jamais été de faire cesser une infraction) ? Tu te crois plus geek que les enquêteurs de la DCRI pour penser qu’ils ne connaissent pas ce genre d’effet sur Internet alors que tu n’as pas toi même un quart de leur compétence technique ?
Ou peut être t’amuses tu tout simplement d’un raté sans avoir l’honnêteté de mettre en perspective les 99% d’affaires dont tu n’entendras jamais parler… et oui quand la DCRI fait bien son travail, elle ne te passe pas un coup de fil pour te dire « mission accomplie », c’est donc bien facile pour toi de la stigmatiser attendu que ce n’est certainement pas elle qui te demandera un droit de réponse.
Quand tu claironnes qu’il s’agit d’une « tentative de censure injustifiée », c’est à croire que tu es dans le secret des dieux. Pourquoi ne parles tu pas des FAITS, à savoir une tentative de censure (ou plutôt de retrait abusif de contenu) non motivée, non expliquée, qui ne pointe pas du doigt un contenu manifestement illicite, de manière précise et probante pour l’hébergeur sommé de retiré le contenu litigieux.
Pas un seul journaliste, pas un… pour évoquer un probable bug de procédure du à l’insistance d’une instance qui tait son nom et qui serait à l’origine de ce monumental fail médiatique ?
La théorie de l’écran de fumée
Cette théorie est probablement celle que l’on relève de plus dans des centaines de commentaires. Elle me semble tout bonnement ridicule et ce à plusieurs titres :
Si la DCRI avait envie de créer des écrans de fumée pour détourner l’attention des scandales qui agitent la classe politique en ce moment, elle n’utiliserait certainement pas Internet comme fondement du dit écran de fumée. Elle choisirait une histoire bien plus en vue qui ne se cantonne pas au petit monde des geeks, et désolé de le dire : au petit monde d’Internet. Attention, scoop : Internet n’est pas le centre de l’univers, il en serait plutôt les extrémités.
Malheureusement, cette théorie conspirationniste particulièrement tenace n’est qu’une réponse logique aux errements de certains politiques qui jouent les traders off-shore. Un climat de défiance malsain qu’on ne manquera pas de retrouver à toutes les sauces, pour d’autres affaires et ici à mes yeux entretenu par de nombreux articles de presse.
Quelqu’un a bien merdé
Quelqu’un, quelque part a bien merdé, c’est un fait. Pointer du doigt la DCRI qui agit dans le cadre d’une enquête judiciaire est la solution de la facilité, celle qui fera loler allègrement tout le monde… mais cette solution n’est fort probablement pas celle qui ira dans le sens de la manifestation de la vérité judiciaire. Pire, elle entretiendra un climat de défiance vis à vis de l’autorité, un climat malsain du genre « tous pourris la DCRI aussi » qui au final, fait le jeu des extrêmes.
Ce n’est pas toi qui il y a 2 jours te foutait allégrement de la DCRI en te demandant pourquoi foutredieu n’avait-il rien dit sur la motivation de ce retrait ? (c’était du bon sens d’ailleurs qu’on ne dit pas ce genre de motif, ça viendrait à dire ce qui est classé).
tu n’as pas du bien lire l’article en question donc tu commences par le lire, c’est là : http://reflets.info/quand-la-dcri-cherchent-a-censurer-wikipedia-les-admins-se-de-op-et-paff-leffet-streisand/
Je ne sais pas ou tu vois des moqueries dans cet article, merci d’éclairer ma lanterne.
Et ensuite je re-contextualise :
Reflets a été le premier media après LinuxFR a faire part de cette affaire (le communiqué de Wikimedia est tombé après ou quelques minutes avant la publication de cet article). A ce moment là nous n’avions évidemment pas le son de cloche de la place Beauvau.
Même avant celà dans l’article que tu n’as visiblement pas lu et qui essaye d’être le plus factuel possible avec le peu d’élément qu’il y avait à ce moment là il y a ce genre de reflexion :
« A l’heure où les grandes oreilles de plusieurs pays s’exposent sur Google maps, il apparait très curieux que la DCRI exerce ce genre de pression sur Wikipedia pour cette page qui ne semble pas révéler de grand secret d’état, d’autant plus que TL7 a même réalisé un reportage sur cette station. »
… et tu appelles ça se foutre de la DCRI toi ? j’en parlerai à mon cheval.
Vient ensuite la réaction de la place Beauvau, j’écris alors cet article : http://bluetouff.com/2013/04/07/leffet-dcri/
Aujourd’hui, lundi, lis les titres de la presse au sujet de cette affaire avec tous les éléments que nous avons.
Pour récapituler :
– je persiste à trouver les menaces inadmissibles
– je doute qu’elles émanent directement de la DCRI
– j’apporte une critique, ne t’en déplaise, constructive, qui est loin de se limiter, comme tu le fais, à la seule motivation du retrait.
Et bien désolé non je n’ai nullement à rougir, j’assume parfaitement mes positions et j’estime avoir poussé un poil plus loin la reflexion que 90% des journalistes qui ont repris avec 24h de retard la dépêche AFP sans apporter la moindre reflexion pertinente.
Bravo ! Rien à redire… Mais ça a transpiré quand même un peu sur les media généralistes (au moins sur leur partie Internet)
« Quelqu’un, quelque part a bien merdé »
On moins on est d’accord là dessus.
En ce qui me concerne, je suis bien d’accord pour poser, ou me poser, des questions. Mais faut être réaliste, on obtiendra pas de réponses de la part de ce genre d’organisme.
Il leur suffit d’agiter le « Secret défense » pour ne pas répondre. Et ça arrangera bien les responsables.
De toute façon, demain, tout le monde aura déjà oublié, il y aura de nouveaux titres, avec les mêmes structures.
Il n’y aura pas de réponse; 2 3 grognards râlent un peu sur le coup. Jusqu’à demain.
Si je lis bien la dépêche AFP ( http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5iTjP7ARes6QVd6bEQBRA1DwAvdVA?docId=CNG.f233dbc79c4685722672fd44ed810bdf.4d1 ), la procédure judiciaire en question aurait été à l’encontre de Rémi Mathis, « en tant que responsable juridique de Wikipedia France » (alors que Wikipedia France n’existe pas, Rémi Mathis est président de Wikimedia France).
Cela dénote tout d’abord une profonde méconnaissance de l’organigramme de Wikipedia, de la Wikimedia Foundation (l’hébergeur et responsable légal) et Wikimedia France (association loi 1901 chargée de promouvoir Wikipedia en France), comme précisé dans cet article.
Ensuite, cette phrase (« Dans un état de droit, on ne peut pas assimiler à une menace l’engagement d’une procédure judiciaire ») me semble être une sorte d’excuse de la part du ministère de l’Intérieur de la façon dont les agents de la DCRI ont traité Rémi Mathis. Je m’explique : ce qui est contesté selon moi dans cette phrase c’est l’utilisation du mot « menace », le ministère ne veut pas que l’on puisse croire qu’un agent français menace qui que ce soit (ie ils agissent sur ordre d’un magistrat, d’un procureur de la République).
La partie inquiétante de la dépêche AFP est la suivante (ce qui revient au même sur le fond du présent article) :
«Selon la version de l’Intérieur, « à la demande du parquet, sous le contrôle de l’autorité judiciaire » cette personne, après un refus initial de retirer l’article, « a été mise en garde contre le risque d’engagement de poursuites judiciaires » dont il pourrait être l’objet « en tant que responsable juridique de Wikipedia France ».»
Cela dénote en effet quelques interrogations : cette demande du parquet a-t-elle était faite au cours de l’audition de Rémi Mathis (en regard de sa non-coopération initiale [donc incompréhension des agents envers le discours de Rémi Mathis sur le fonctionnement de Wikipedia]) ou au contraire l’audition était la suite de la procédure du parquet ? Auquel cas, qui a déposé plainte ? Pourquoi le parquet ne s’est pas rendu compte qu’elle impliquait une personne totalement étranger à l’affaire (Rémi Mathis n’a pas créé la page incriminé, ne l’a jamais éditée et surement jamais visitée avant de se rendre dans les bureaux de la DCRI) ? Pourquoi le parquet n’a pas demandé un référé judiciaire à un juge [auquel cas la Wikimedia Fondation aurait d’elle même suspendu la page] ?
Enfin, pour moi, en français (c’est-à-dire pas en langage de juriste), une « mise en garde » est quand même assez proche d’une menace, surtout quand la mise en garde concerne la mise en garde à vue éventuelle de la personne en face. J’aime pas le langage de politicien.
Tu vois je n’avais même pas relevé la coquille dans la dépêche AFP :\
Dans son communiqué le ministère enfume un peu plus. Il n’y a qu’une seule information : la procédure judiciaire. Le reste est de l’ordre du Troll pour couvrir le vrai commanditaire (qui pourrait par exemple être l’ex SGDN http://www.sgdsn.gouv.fr/ )
Il y a peut-être eu une « procédure judiciaire », une « enquête préliminaire », mais la question qui se pose est celle-ci: à moins que je me trompe, le fait d’intenter une poursuite en France ne signifie pas qu’elle sera accueillie par les tribunaux. En refusant d’offrir une justification ou une décision de justice, la Foundation n’avait aucun motif de supprimer l’article et c’est exactement ce que ses avocats ont dit au DCRI.
En se tournant vers Mathis (une tierce partie bénévole, indépendante de la Foundation) pour lui demander de supprimer l’article sur le champ sous peine de garde à vue (si on en croit la relation de Wikimédia France), les agents agissaient de manière très contestable. Qu’on appelle cela de la censure, de l’intimidation ou du travail bâclé reste une question d’appréciation personnelle, mais ce n’est pas un grand moment de l’histoire du droit en France.
Je suis désolé pour le major de la station de Pierre-sur-Haute, mais il a trop parlé en accordant son entrevue à la télé locale. Il est aujourd’hui impossible de remettre le génie dans la bouteille.
Ca rappelle un peu l’affaire Dasquié ce truc. La façon dont les services secrets utilisent la menace « hors de le droit » dès qu’on invoque le secret défense.
http://www.spyworld-actu.com/spip.php?article6771
« »Lors de ma garde à vue, j’ai reçu plusieurs interventions consistant à me demander de ne pas me prévaloir des dispositions qui me permettent de protéger mes sources. Mes interlocuteurs m’ont indiqué que si je me prévalais de façon trop ferme de l’article 109 du code de procédure pénale, je serai placé en détention provisoire. » »