Décidément, voilà une affaire qui fait couler beaucoup de pixels. Je m’étonnais déjà hier que l’on stigmatise la DCRI sans se poser de questions ultra basiques : « qui, pourquoi, comment ». Aujourd’hui pas mal de média reprenaient la dépêche AFP (et ses erreurs : Rémi Mathis n’est pas le président de Wikipedia France, qui n’existe pas, mais de Wikimedia France dont le rôle est de supporter et promouvoir Wikipedia). La presse s’est focalisée sur le troll du ministère « on ne peut pas parler de menaces« , passant totalement à côté de l’information essentielle dans sa déclaration :
« Dans un état de droit, on ne peut pas assimiler à une menace l’engagement d’une procédure judiciaire »
… Et oui il y avait bien une procédure en cours.
Le Point écrivait aujourd’hui :
« En voulant supprimer hors de tout cadre légal un article contenant des informations jugées sensibles, le contre-espionnage en a décuplé l’audience. »
Evidemment, ceci est une ânerie, on pouvait s’en douter. Il y a bien un cadre légal, la DCRI n’a pas joué les cowboys… On apprend ce soir que la DCRI est en fait intervenue dans le cadre d’une enquête préliminaire au motif de compromission conduite par la section antiterroriste du Parquet de Paris. Compromission de quoi ? D’un site abritant des activités sous couvert du secret défense. Et comme le souligne Le Point, cette fois justement, et comme je le soupçonnais déjà depuis hier, et comme je le ré-affirmais aujourd’hui : le motif invoqué par la DCRI, c’est probablement le motif qui lui a été fourni par le plaignant, probablement le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) qui répond directement du cabinet du premier Ministre.
la DCRI a agit dans le cadre d’une enquête judiciaire tout ce qu’il y a de plus « normale », même si les menaces (oui, ce sont bien des menaces) et les pressions dont Remi Mathis a été l’objet demeurent inacceptables.
Ces menaces sont le fruit d’un bug de procédure inhérent à Internet et met en exergue l’encapsulage un peu manqué de cette demande dans le bundle LCEN. La loi sur la Confiance dans l’Economie Numérique qui décrit le mécanisme de retrait d’un contenu manifestement illicite, et implique qu’une demande de retrait soit motivée par des faits précis et probants. Dans notre cas, l’absence d’explications précises et probantes a conduit, logiquement, la Wikimedia Foundation (US) à refuser le retrait. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un vide juridique mais d’un cas assez particulier sur lequel l’avis d’un juge pourrait lui seul nous éclairer…
Partant de là, on peut raisonnablement supposer, en restant très prudent, que les menaces subies par Rémi Mathis émanent du plaignant, la DCRI ne s’en faisant que le porte parole.
Voici enfin une thèse qui expliquerait pourquoi nous en sommes arrivés à cet effet Streisand, un effet certainement bien connu de la DCRI, mais probablement bien moins connu du SGDSN ou d’un autre service moins rompu à la culture Internet.
Donc, DCRI ou SGDSN ne connaissent pas le CP ni ne savent se renseigner sur la structure administrative d’un organisme comme WP. Ça fait aussi froid dans le dos que si c’était un coup monté.
J’ai peur que l’explication ne soit plus « simple ».
Ex : le SGDSN defend dans ses prérogatives becs et ongles le secret défense, il fait pression sur la DCRI qui répercute ces pressions là où ça lui est possible. Et dans le cas de Wikipedia/ Wikimedia US / Wikimedia FR on voit bien que c’est problématique d’un point de vue organisationnel, donc … c’est le pauvre Remi qui en fait les frais.
Et oui, ça fait froid dans le dos…
Ceci confirme bien ce que j’avais pressenti dans mon blog. Sur le fond, la DCRI était dans son droit, il y a juste eu un vice de forme. Pour ce qui est de l’effet Streisand qui a suivi, cela vient aussi du communiqué de Wikimedia France où à mon avis les auteurs se sont faits un film. À les lire, Rémi Mathis a été contraint avec un canon sur la tempe ; alors que d’après un représentant de la police hier soir sur Europe 1, il n’y a eu ni agression verbale, ni même de menaces dans le sens du ton, tout s’est passé de manière cordiale.
Salut,
J’ai lu votre article la nuit dernière et effectivement vous l’aviez bien pré-senti.
Ensuite je comprends parfaitement la réaction de Wikimedia France, ce n’est jamais plaisant de se voir mis en cause alors qu’on y est pour rien.
Permettez une réponse d’ordre général :
Il est possible pour la police de menacer des gens sans leur mettre un canon sur la tempe (pratique qui, je l’espère, n’existe pas en France, sinon, comme vous dites, dans les œuvres de fiction).
Lisez, par exemple, Maître Eolas, au sujet de « l’audition libre » : la personne est interrogée sans avocat car « de son plein gré », et on lui fait comprendre que si elle fait mine de s’en aller ou de ne pas coopérer, on la mettra en garde à vue (donc 24 h voire 48 h coincée, dans des conditions rarement bonnes; cf http://melange-instable.blogspot.fr/2012/10/vie-de-tox-perquisition-et-garde.html p.ex.) — garde à vue où, certes, elle pourra avoir l’assistance d’un avocat.
On peut même la menacer de mise en examen (donc potentiellement détention préventive), sans lui donner l’opportunité de prendre le conseil d’un avocat pour vérifier si cette menace est crédible (le Code de procédure pénale est suffisamment complexe pour que le simple citoyen ne puisse pas jauger de cela).
Quelques mois après : il faut aussi signaler que Rémi Mathis n’est pas un agent secret, ou une personne rompue aux interrogatoires, c’est un chercheur-bibliothécaire engagé dans une oeuvre de diffusion des connaissances. Donc quelques gros bras parlant fort dans un local confiné peuvent tout à fait s’apparenter à des pressions et des menaces.
J’ajouterai qu’une « menace » ou une « intimidation », en langue française, n’ont pas besoin d’être accompagnée de violence ou de menace de violence physique.
On connaît maintenant le cheminement de l’affaire et c’est bien.
Mais ça n’excuse en rien le fait de menacer une personne juste parce qu’elle a le statut de sysop et donc la possibilité de supprimer (temporairement) l’article en question.
Si la DCRI était aussi bien renseignée que cela, elle devait se douter :
– que l’article serait remis en ligne
– que l’effet Streisand allait se mettre en route
De plus, elle aurait pu s’apercevoir que le contenu de l’article était grosso modo la transcription d’un reportage vidéo-TV accordé par l’officier responsable du site « secret défense »en question. Et transmettre ces informations, et ses doutes à la SGDSN.
Plutôt que « barbouzes », ça fait finalement pieds nickelés tout ça.
Et maintenant le major Jeansac est dans le caca, il a divulgué des informations secrets dans le reportage de TL7, donc p’tite enquête militaire pour lui :
http://www.lepoint.fr/high-tech-internet/affaire-wikipedia-dcri-le-sous-officier-qui-avait-fait-visiter-la-base-fait-l-objet-d-une-enquete-militaire-12-04-2013-1654274_47.php