Nos récents articles sur Reflets, celui sur Syria News, et celui sur le Parlement syrien, comme chaque fois lorsque l’on parle de la Syrie, ont soulevé quelques commentaires exprimant une certaine perplexité. Ces commentaires sont parfois parfaitement construits et expriment des interrogations et des réserves parfaitement légitimes. Nous essayons donc de répondre à ces commentaires, et c’est aussi un peu l’objet de ce billet. D’autres, plus péremptoires se veulent des leçons de geopolitique de comptoir, dispensées par des personnes qui, sous prétexte d’avoir rencontré deux syriens à leurs dernières vacances au ClubMed affirment que notre démarche est motivée par d’obscurs intérêts, que nous serions à la solde de la CIA, du Mossad, du MI6, quand nous ne cherchons pas à instaurer la Charia dans le Proche-Orient.
Notre réalité est cependant bien différente. Nous avons engagé une forme de lutte pacifique qui se limite en une réponse mesurée à ce qu’applique le gouvernement syrien en terme de propagande, de répression et de surveillance électronique.
Le gouvernement syrien, avec l’aide d’entreprises locales ou occidentales a décidé d’exercer une surveillance active de son réseau. Le but est clair, il s’agit de :
prévenir la diffusion de toute information qui lui serait défavorable ;
localiser, arrêter, torturer les émetteurs de ces informations, de ces documents vidéo ;
mener une propagande active à la gloire de la personne de Bachar Al Assad, tyran népotique au culte de sa propre personne bien affirmé.
En ce qui me concerne, et ceci n’est probablement pas valable pour d’autres qui s’engagent eux aussi, je puise ma motivation de nombreux échanges avec des syriens. Certains anti régimes qui ont vu leurs proches massacrés ou persécutés, mais surtout par une majorité de gens qui ne sont ni pros, ni antis, mais qui subissent au quotidien, depuis 18 mois, une guerre civile.
Je ne pense pas personnellement me battre pour une démocratie en Syrie, le terme démocratie étant lui même soumis à interpretation de chacun, même chez nous. Encore faut-il croire en nos définitions de la démocratie, et bien naif faut-il être pour penser que notre conception de cette dernière est transposable n’importe où.
Si je m’engage sur ce terrain cybernétique qui est le mien, c’est d’abord pour essayer de rétablir un équilibre entre un régime qui déploie de gros moyens pour surveiller Internet, et des internautes qui souhaitent accéder à une information que le régime lui refuse.
Puis, et c’est bien la le coeur de mon action, pour apporter des outils et des connaissances nécessaires à l’exercice de la liberté d’expression bafouée de ces internautes. Ceci passe par des outils d’anonymisation sur Internet et parfois, il est vrai, quelques prises de bec peu courtoises avec des « professionnels » qui mettent involontairement la vie de leurs sources en danger. Mais penser que nous faisons ça pour le plaisir de taper sur la presse est parfaitement inexact. C’est en revanche l’impression que ça peut laisser de l’extérieur, attendu que nous ne communiquons, que je ne communique pas sur toutes (nos) mes actions.
Mais par dessus tout, après 18 mois de conflit, il y a cette majorité silencieuse des « ni pour ni contre » qui se sent abandonnée par toute la communauté internationale, ce sont eux que nous n’avons pas le droit de laisser tomber, ce sont eux qui ont probablement besoin d’être considérés.
☠ Pourquoi le Parlement ?
C’est un symbole avant tout, derrière ce symbole, il y a un message informationnel, n’en déplaise à certains. Ce message, c’est d’offrir des données brutes, des accès à des comptes de dignitaires syriens. Le message est dual, il s’adresse au peuple syrien : « Des personnes surveillent vos surveillants », et il s’adresse à la presse car nous offrons l’accès à des données brutes, factuelles, des correspondances, la capacité pour chacun s’il en a la curiosité de se faire sa propre opinion d’un conflit complexe.
Penser que nous agissons au doigt mouillé en fonction des like Facebook ou des hashtags Twitter est une erreur. Nous agissons pour le réseau, et non en fonction du réseau.
Le billet qui va suivre n’avait à mon sens pas sa place sur Reflets.info, c’est pour ça que je vous le propose ici. Il n’est pas à prendre pour parole d’évangile, il n’est que l’expression de ce que je pense, avec le peu de recul que j’ai, et non le fruit d’une investigation me permettant d’affirmer avec assurance les opinions présentées ici. Il fait suite à ce que je vous avais évoqué ici, et que nous avons finalement rendu public sur Reflets avant hier. Comprenez bien que nous n’en savons à ce jour pas beaucoup plus et ces menaces sont tellement cryptiques que nous ne sommes même pas sur du tout qu’elles soient en rapport avec nos recherches sur les ventes d’armes numériques à des nations faisant ouvertement peu de cas des droits de l’Homme. C’est ce que je vais tenter de vous exposer ici.
Fin Mai 2011, toujours sur Reflets, j’en remettais une petite couche, toujours sans les nommer, mais en présentant cette fois le matériel exact composant une partie du dispositif d’écoutes globales vendu par Amesys au régime libyen.
Pourquoi désigner sans nommer ?
S’il ne faisait pour nous plus l’ombre d’un doute qu’Amesys avait bien vendu un dispositif d’interception global à Kadhafi, les raisons de cette vente nous paraissaient encore bien fumeuses. Amesys, filiale de Bull, n’avait probablement pas besoin de ce contrat, aussi juteux soit-il, pour assurer sa pérennité. Il y avait donc autre chose. Nous avons logiquement gratté un peu la piste diplomatique et du renseignement militaire, mais là encore, rien de convaincant. Rien qui pouvait justifier de mettre entre les mains du dictateur ce Glint, dans un but, quoi qu’en dise Amesys dans son communiqué, de mettre sous surveillance l’ensemble de la population libyenne. Pour être clair, je ne crois pas un seul instant qu’un tel dispositif soit nécessaire pour surveiller quelques dizaines, voire centaines de membres supposés d’Al Qaida agissant sur le territoire libyen (une hypothèse fort peu crédible quand on sait en plus comment Kadhafi a perçu l’extrémisme religieux dans son pays avant 2010, à savoir un concurrent néfaste pour son règne). Ce qui me permet d’affirmer ceci c’est la nature même de l’équipement, « Nation Wide » (à l’échelle d’une nation), doublé du fait qu’il s’agisse ici de surveillance intérieure. Ce dispositif porte sur l’écoute en coeur de réseau d’un fournisseur d’accès. A aucun moment on me fera croire qu’on est allé poser des sondes chez les FAI au Pakistan, au Yemen ou en Afghanistan, susceptibles d’intercepter les communications externes pour alimenter la base de données Eagle des interceptions de ce dispositif situé en Libye. Pour traquer Al Qaida, il valait mieux dealer avec les autorités pakistanaises que libyennes, et je ne pense pas que nos services extérieurs aient besoin de mes lumières pour le savoir.
Qui a fait quoi ?
Nous n’avons aujourd’hui d’autre réponse « officielle »sur cette question que le communiqué de presse d’Amesys publié sur son site qu’il ferma suite aux révélations publiées dans le Wall Street Journal. Sur Twitter, Même son de cloche du service de communication de la maison mère, Bull, visiblement embarrassée, qui n’a pas voulu répondre à mes questions autrement que par un lien sur le ridicule communiqué d’Amesys.
Du côté des politiques, c’est le silence absolu, les autorités nient en bloc avoir eu connaissance d’une telle vente à la Libye. Je vais exprimer mon avis sur ce point en 3 lettres : LOL.
Je cite OWNI : « Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) confirmait la nécessité d’une autorisation de la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériel de guerre (CIEEMG) pour les produits de guerre électronique, tout en affirmant ne rien savoir de cette affaire… »
Le 6 septembre, le Figaro révélait que la Direction du Renseignement Militaire (DRM) avait pris part au déploiement du centre d’écoute sur le sol libyen. Owni pointera du doigt le même jour un autre élément intéressant, pouvant partiellement expliquer la soudaine aphasie d’Amesys sur le dossier libyen : « Tiphaine Hecketsweiler, embauchée en tant que directrice de la communication du groupe Bull en janvier 2011, est en effet la fille de Gérard Longuet ». Oui, Gérard Longuet, le ministre de la Défense et des Anciens combattants, en poste depuis février 2011, soit un mois après (il me semble utile et honnête de le préciser) l’embauche de sa fille à la tête de la communication de Bull.
Information reprise par le journal télévisé de 20h du 15 octobre sur France 2.
Soit le fruit d’une décision politique assumée, en échange d’un arrangement dont nous ne connaissons pas la nature exacte, mais il ne me semble aujourd’hui pas idiot d’envisager le fait qu’il ne s’agissait aucunement de lutte anti-terroriste.
Soit un mix d’intérêts politiques et économiques… comme c’est probablement le cas pour le Maroc, un autre contrat portant sur un dispositif de surveillance « Nation Wide » sur lequel nous reviendrons probablement plus tard dans Reflets.
La vente d’armes numériques ne saurait à mon sens justifier les tentatives d’intimidation dont la rédaction de Reflets (et ses amis) ont, par personnes interposées, fait l’objet… ça ne colle pas. Du moins, je vois très mal Amesys s’intéresser à nos modestes travaux alors que la presse entière expose ses activités et ses liaisons dangereuses au grand jour. La vérité est probablement ailleurs.
Le piste syrienne
Je confesse volontiers ne pas avoir la culture suffisante pour avoir une vision précise des intérêts occidentaux dans le monde arabo-musulman. Mais la piste de la région syrienne me semble à ce jour particulièrement intéressante, ce à plusieurs titres.
Une petite mise au point préalable
Il faut d’abord comprendre avec précision l’action conjointe de Reflets, Telecomix et FHIMT. Loin d’avoir l’envie de jouer aux barbouzes pour renverser le gouvernement de Bachar El Assad, notre action a exclusivement porté sur l’aide aux individus menacés pour leurs opinions dans ce pays. C’est contre ces individus que le régime syrien envoi les snipers. Nous sommes avant tout des internautes, des « gens du réseau », qui nous intéressons à nos semblables, quel que soit leur religion, leurs opinions politiques… Ces gens du réseau sont pris pour cibles car un régime utilise le réseau contre eux en utilisant des armes numériques d’origines occidentales. Nous n’avons pas la possibilité de leur venir en aide autrement qu’en essayant de leur donner les outils leur permettant de se prémunir de ces armes numériques. Malheureusement, ces motivations ne sont pas comprises de tous et il arrive que la presse fasse de malheureux amalgames ou nous prête des intentions qui n’ont jamais été les nôtres. Je vous invite, si vous l’avez manqué à lire cet article de Kheops qui exprime parfaitement ce décalage.
On dérange qui à part Bachar ?
La région est une poudrière qui n’a pas attendu quelques hacktivistes pour s’embraser. Le mal me semble bien plus profond. Notre rôle en Syrie, comme en Libye, a simplement été de dénoncer le business, que notre bon sens et notre éthique nous interdirait, d’entreprises occidentales qui mettent à disposition des technologies de surveillance de masse. C’est là tout l’objet de notre publication des « logs de la censure syrienne » qui se veut un instantané de l’état de l’art de la mise en place d’outils numériques de surveillance et de répression. Outils que BlueCoat, principal incriminé qui ne souhaite pas nous répondre, nie avoir directement vendu à la Syrie (contournant ainsi l’embargo commercial sur la Syrie)… on veut bien les croire. Là où on a plus de mal avec BlueCoat, c’est quand il raconte n’importe quoi à Slashdot, niant que ces logs proviennent de ses équipements. Nous avons donc pris le temps de faire la démonstration technique du mensonge de BlueCoat… Pas de doute, on dérange bien BlueCoat.
On dérange peut être également Fortinet, une entreprise allemande que nous soupçonnons ouvertement de compléter les basses besognes des équipements BlueCoat avec ses Fortigates… à coup Deep Packet Inspection.
Là encore aucune réponse officielle des intéressés à nos questions peut-être un peu trop précises…
Cependant, la piste strictement technique ne me satisfait pas. Il nous reste donc 3 pistes :
Commerciale
Diplomatique
Politique
Et si ces 3 pistes n’en faisaient en fait qu’une seule ? Difficile de pousser plus amont la réflexion sans spéculer avec les éléments dont nous disposons à ce jour. Mais les logs finissent toujours par parler… Toujours.
Naturellement, nous irons fouiller les pistes purement syriennes, mais pas que… un pays frontalier commence à attirer notre attention. En fait, ce qui attire le plus notre attention, c’est l’activité diplomatique et politico-commerciale de pays occidentaux dans cette région.
Nous continuerons nos travaux, nous ne nous laisserons pas intimider.
Aujourd’hui, le réseau n’a pas besoin des gouvernements pour veiller sur ses semblables. La classe politique doit, et va en prendre conscience. Nos actions sont pacifistes, nous n’avons rien de cyber-terroristes ou de cyber-criminels. Nous nous foutons des enjeux diplomatiques et commerciaux dans telle ou telle région, nous sommes le réseau, notre région c’est Internet notre rôle est de faire en sorte d’acheminer les informations qui y circulent et non d’espionner vos communications. Des gouvernants ont l’illusion de pouvoir contrôler tous les flux d’informations qui y circulent pour y imposer une nouvelle forme d’assise de leur pouvoir : ils n’ont pas compris que derrière chaque machine se cache un de leur semblable. Cette erreur… ils seront amenés à la payer très cher un jour où l’autre. Tout peuple oppressé finit un jour par se libérer. Oppresser le réseau est dangereux.
Le réseau et l’information qui y transite peuvent de prime abord paraître bien dérisoires face à des snipers et des chars, mais l’information véhicule des idées… et on ne tue pas des idées.
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