La #NSA surveillerait #Alcatel, l’un de ses fournisseurs… sans blague ?

obama-big-brotherLe Monde nous a hier gratifié de nouvelles révélations sur les programmes d’interception et de surveillance des services américains. Ces dernières révélations ont fait du bruit, poussant Laurent Fabius à convoquer dans l’urgence l’ambassadeur des Etats-Unis en France, tout particulièrement pour demander à ce dernier de s’expliquer sur l’espionnage dont serait les cibles deux joyaux technologiques français :

  • le franco français Orange, enfin Wanadoo comme on l’appelle encore à la cafet’ de la NSA
  • le franco américain Alcatel, un fournisseur comme on l’appelle au service compta de la NSA

Si l’espionnage de Wanadoo peut sembler « curieux » de prime abord, il faut simplement se remémorer quelques éléments de contexte.

  • Orange est le plus important fournisseur d’accès à Internet de France
  • Orange opère la majorité des infrastructures acheminant des données en France, y compris celles par lesquelles passent les données des autres fournisseurs d’accès, appelons-les « les autres » ou  « les opérateurs pas historiques ».
  • Orange a une présence à l’étranger très, très importante. Si vous voulez intercepter les conversations téléphoniques de pédo-nazis terroristes en Ethiopie par exemple, c’est bien sur le cas d’Orange qu’il faut se pencher puisque c’est ce dernier qui a mis en place les infrastructures de l’opérateur national local.
  • Posez vous une question idiote : combien de députés ou de journalistes ont encore un mail @wanadoo.fr actif ? En fait, ce sont encore 4,5 millions de français qui utilisent une adresse @wanadoo.fr
  • Orange opère aussi d’autres réseaux (x25, système de communication des professionnels de santé etc…) et quelques échanges de techniciens d’une messagerie pseudo sécurisée par une entreprise qui a découvert par accident le chiffrement asymétrique il  y a trois ans (ne riez pas cette anecdote est authentique), croyez le ou non, mais c’est providentiel quand on joue les big brothers.

Aussi pour toutes ces raisons et certainement d’autres comme celles qui lient contractuellement Orange à de gros autres opérateurs mondiaux, c’est une proie plutôt sympa quand on s’appelle la NSA.

Passons maintenant au cas Alcatel. Alcatel Lucent est une entreprise franco américaine et surtout, en 2010, l’un des principaux équipementiers déployant des routeurs de services chez les opérateurs US (auxquels la NSA accède dans le cadre du programme PRISM). Le renforcement des lois exerçant l’emprise des services secrets américains sur les infrastructures des fournisseurs d’accès à Internet aux USA ne leur laisse pas tellement le choix, il faut déployer de puissants systèmes embarquant le nécessaire pour la collecte de données. Et quoi de mieux qu’un bon gros routeur de service pouvant intercepter le contenu des communications (grâce au Deep Packet Inspection) sur des débits relativement importants ?

En 2010, Alcatel, c’est un peu l’arme ultime anti hackers chinois, tout comme une poignée d’entreprises américaines (Narus, Cisco Systems, Juniper…) . Les USA sont alors en pleine cyber gueguerre sur deux fronts distincts : le front chinois avec Aurora, le front iranien avec le déploiement de Stuxnet dont on commence déjà à l’époque à perdre le contrôle.

Alcatel présente un autre avantage quand on veut par exemple écouter Orange et nombre des fournisseurs d’accès avec lequel l’opérateur travaille directement. Alcatel et Orange ne sont d’ailleurs pas non plus étrangers à la technologie xDSL, l’une des plus répandue dans le monde. On ne vas donc pas reprocher aux américains de s’intéresser à une technologie française pouvant avantageusement remplacer leur réseau câblé tout moisi de l’époque.

C’est donc avec une paranoia qui n’est pas exclusivement due à la traque aux barbus jihadistes que la NSA opère ses écoutes. En fait, avec Alcatel, elle opère avant tout un contrôle sur les équipements qu’elle utilise elle-même, à savoir des routeurs de services Alcatel 7750 : 7750_SR_Portfolio_R10_EN_Datasheet (PDF)

7750_largeEn 2010, les plus gros clients d’Alcatel pour cette gamme sont américains et canadiens. Il gèrent déjà du DPI (que l’on appelle alors du H-QoS, pour Hierarchical Quality of Service) à raison de  100 Gb/s par puce… et il y a jusqu’à 4 puces en fonction des configurations sur ces modèles. Déployés au coeur de réseau chez les opérateurs ils permettent aussi bien de facturer des services IP que d’intercepter à la volée des communications IP. Faites une recherche des termes « lawful interception » sur ce PDF : 9301810201_V1_7750 SR OS OAM and Diagnostics Guide 6.1r1.

Alcatel et Orange intéressent donc la NSA, ok c’est un fait. Nous en avons naturellement beaucoup parlé et ceci indigne à juste titre la France, alliée indéfectible des USA. Mais peut-il réellement en être autrement pour ces deux entreprises qui déploient à travers le monde leurs câbles sous-marins, autoroutes de nos échanges numériques, et dorsales d’interception privilégiées de tous les services de renseignements de la planète ?

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Le Raymond Croze, un navire câblier de la flotte d’Orange Marine

Si la NSA surveille Alcatel, il y a fort à parier qu’elle surveille également des entreprises comme Amesys ou surtout Qosmos, dont on retrouve la technologie chez des équipementiers américains et qui est précurseur dans les technologies d’inspection en profondeur des paquets (DPI).

Et puis posons clairement la question… Qosmos marque un intérêt prononcé pour la détection de protocoles et la reconnaissance de signatures émanant d’applications en ligne d’origine chinoise. A t-elle développé ceci pour ses propres besoins ou a t-elle un client qui a ses grandes oreilles rivées sur la Chine ?

La menace terroriste est très loin d’être la seule chose qui intéresse le monde du renseignement aux USA. On ne peut que regretter de l’apprendre à nos dépends, de manière aussi brutale, ou se consoler en se disant que la France, elle aussi, profite des informations collectées par les services américains qu’elle échange contre ses propres informations.

Mais que Laurent Fabius ne s’inquiète pas, nul besoin de convoquer la diplomatie américaine et nous jeter de la poudre aux yeux, puisque je vous parle ici de matériel grand public et de méthodes d’interception grand public comme il le dit lui même (enfin sous la bienveillante égide d’un nègre de la Direction du Renseignement militaire qui avait déjà fait déblatérer les mêmes âneries à Alain Juppé) quand la France vend un Eagle au Maroc qui ne manquera surement pas d’idées pour en faire un usage en parfaite adéquation avec les valeurs de notre république.

Alors Alcatel ? … Entre nous, ça vous fait quoi d’être vous mêmes les pseudos victimes de vos propres équipements ?

La Deep Packet Inspection en coeur de réseau

alcatel dpiDébut mai 2010, je vous expliquais sur ce blog que la Deep Packet Inspection était bien dans les bacs. Le terme de « quasi neutralité » en conclusion gouvernementale qui avait pour l’occasion savamment instrumentalisé cette vénérable institution qu’est l’ARCEP, laissait peu de doutes sur la question. Plus tard, au mois de juin, quelques recherches m’avaient amené à vous parler de techniques plus pernicieuses encore, découlant du DPI, mais qui ont le bons goûts de sembler moins intrusives que de l’analyse de paquets en profondeur, basée sur des méthodes statistiques : le stochastic packet inspection. Selon ce que j’ai pu comprendre des papiers de recherche sur lesquels j’étais tombé,  le stochastic présentait un défaut, il fallait multiplier les points de sondes pour obtenir un ratio d’acuité élevé. Mais il avait aussi un gros avantage sur la DPI, pas besoin d’analyser les paquets en profondeur et donc de violer le secret des correspondances pour appliquer des règles de routage ou de drop des paquets.

Plus récemment encore je vous parlais d’Alcatel, un acteur majeur dans les équipements réseaux professionnels, dans un billet qui faisait suite à la diffusion du rapport gouvernemental sur la neutralité du Net, que l’entreprise, comme le rapport, re-qualifiaient en un risible « Internet ouvert »… la preuve en image. La manipulation était grossière, certes, et on sentait bien la griffe d’Alcatel dans ce rapport, tant dans la terminologie, les prévisions apocalyptiques « on va tous mourir, le Net est tout saturé« , que dans les conclusions qui invitaient à un libre accès aux contenus « licites ». Seul hic, pour reconnaitre un bit légal d’un bit illégal, quoi qu’on nous raconte, il faut bien placer une forme d’intelligence sur le réseau qui jouera le rôle du douanier… en clair de la deep packet inspection.

Stochastic packet inspection : le filtrage aux extrémités… cher mais peu intrusif

Multiplier les sondes sur les routes du trafic d’un internaute implique d’importants investissements (ou d’inclure des dispositifs puissants et onéreux dans les box, ce qui est cher, mais pas impossible, et ceci pourrait dans un futur proche devenir rentable avec des FPGA ).

Deep Packet Inspection : la surveillance de vos communications au coeur du réseau

Nous allons nous replonger dans l’univers fantastique d’Alcatel Lucent pour découvrir un équipement qui risque de vous donner froid dans le dos. J’ai à plusieurs reprises évoqué des modules directement installés sur les DSLAM des opérateurs, à ce moment j’étais à mille lieues de penser que des routeurs d’agrégation de services, placés en coeur de réseau, au plus proche des terminaux ou de bordure, proche des backbones, pourraient avoir assez de puissance de calcul pour faire de la DPI sur un lien terabit. Bon je commence à parler chinois, mais on va continuer un peu en regardant ce qu’il y a sous le capot de ces routeurs de services comme le 7705, capable de gérer des flux IP, mais également GSM, 2G, 3G et LTE. Alcatel devrait même prochainement annoncer le lancement d’une carte d’extension que l’on qualifiera pudiquement de carte « de traitement de paquets programmable » pour le 7705 embarquant un processeur, programmé par une société tierce pour son compte (une première pour l’équipementier réseau). En fait un monstre qui embarquera du FPGA pour offrir une puissance de traitement et surtout d’analyse de paquets colossale. Pour faire simple, le routeur forwarderait les paquets à la carte d’extension en question avant ou après une décision de routage… là on commence à rentrer dans le domaine de la magie noire.

Les communiqués, ou la documentation grand public d’Alcatel ne parlent pas ouvertement de DPI (plutôt de QoS). Dans d’autres documents à destinations de personnes plus avisées, les spécifications de la bête laissent à penser que comme pour d’autres modèles de la marque (comme la famille 7750 qui gère déjà du DPI à raison de  100 Gb/s par puce… et il y a jusqu’4 puces en fonction des configuration sur ces modèles), ces équipements sont tout à fait DPI ready… et sur de gros réseaux. Les cartes d’extension de ce genre de routeur de service, au format MDA (Media-Dependant Adapter) apportent également une intelligence en plus de celle du routeur, elles traitent des protocoles physiques, puis les encapsulent dans du MPLS (MultiProtocol Label Switching) et présentent ainsi le gros avantage d’être déployables au coeur de gros réseaux. Et c’est là que la magie du DPI s’opère techniquement : ce sont les IOM, sur lesquelles on trouve 2 MDA, qui servent à l’intelligence du routeur, elles sont connectées au routing complex et la puce « FP2 » d’Alcatel s’intercale ici, et c’est à ce niveau que la deep packet inspection s’opère.

Voilà je vous ai assez mis l’eau à la bouche, retenez en simplement qu’Alcatel sait faire de la DPI au minimum, à 100 Gb/s sur des configurations très scalables… et ça date de 2008. Si comme moi vous aimez les petits dessins, c’est par ici que ça se passe.

Revenons à des choses un peu plus digestes

Avec de tels équipements, dotés d’aussi puissantes capacités de traitement, on se doute bien que les premiers clients pour ces gros jouets, ce sont les gouvernements. Alcatel a bien envie de pousser quelques uns de ces routeurs de services pour aider le gouvernement ou n’importe quelle  « haute autorité administrative » à vérifier si vous accédez à un contenu LEGAL sur un Net qui n’est pas neutre mais OUVERT… bref, chez Alcatel on est sympas et toujours prêts à rendre service, surtout aux fournisseurs d’accès à qui l’entreprise promet de grosses économies en … filtrant des services ! On peut tourner ça dans tous les sens, on est aux antipodes de la neutralité du Net, on ne fait plus du simple QoS pour réduire la latence sur de la VOIP, mais bien de la surveillance.

Ainsi les 7705 font déjà le bonheur du gouvernement américain… et il est fort probable que certains fournisseurs d’accès en possèdent quelques uns, plus inquiétant, Alcatel en vendrait en ce moment environ 10 000 par trimestre ! Concernant les 7750, on en dénombrait plus de 20 000 en 2009. A ce rythme, vous comprendrez aisément qu’il ne manque vraiment plus grand chose pour mettre le Net sous surveillance.

Alcatel Lucent : cet ami qui vous veut du bien

alcatel lucent dpiQuand on parle de DPI (Deep Packet Inspection), il y a quelques acteurs à côté desquels il est impossible de passer. Qosmos, Cisco Systems, et un autre un peu plus de chez nous : Alcatel Lucent. Gtom a posté en commentaire ici un lien vraiment édifiant sur l’une des vidéos de l’ARCEP qui m’était sortie de la tête. On retrouve dans le discours de Gabrielle Gauthey, représentante d’Alcatel Lucent, TOUS les éléments contestables du rapport gouvernemental sur la neutralité. Je vous invite donc à (re)visionner cette vidéo très attentivement.

Au menu dans le discours d’Alcatel et que l’on retrouve de manière abondante dans ce rapport gouvernemental, nous avons en vrac :

  • La notion de gestion de trafic ;
  • La notion de contenus licites ;
  • La remise en cause du haut débit flat rate ;
  • La « DPI tout à fait naturel »  ;
  • La notion d’Internet ouvert ;
  • et en trame de fond, le financement de ces équipements par la hausse des prix.

Tout ceci fait quand même un peu beaucoup pour être considéré comme une simple coincidence, de toute évidence, le lobbying d’Alcatel a porté ses fruits et le rapport gouvernemental reprend au pied de la lettre l’argumentaire d’Alcatel.

Alcatel Lucent est un équipementier dont le savoir faire et la qualité des produits n’est plus vraiment à prouver, il est l’un des leaders mondiaux sur les équipements xDSL (particulièrement les DSLAM) à destination des fournisseurs d’accès et produit entre autres les Livebox d’Orange. Le savoir faire de l’entreprise s’est donc assez naturellement développé niveau DPI et il offre même depuis 2008 des équipements terrabits proposant du DPI (c’est en gras dans le texte).

Alcatel Lucent porte aussi quelques autres entités, particulièrement une dont je vous avais parlé ici, Kindsight. Il est difficile de ne pas percevoir les liens étroits qui unissent Orange et Alcatel sur la DPI. Il est en revanche plus compliqué de décrypter les stratégies des acteurs de ce nouvel eldorado.

Quand tous les intérêts convergent vers une société de surveillance

Le marché de la surveillance est un business particulièrement juteux (à ce niveau on ne parle pas de sécurité mais bien de surveillance). La France y a développé des compétences qu’elle entend bien imposer un jour ou l’autre quand ce n’est pas déjà fait à des fournisseurs d’accès un peu partout dans le monde. Nul doute que la France entend devenir une vitrine technologique de la DPI pour mieux la vendre ailleurs, sur des marchés bien plus importants. Le Ministère des Finances et de l’Industrie joue donc parfaitement son rôle en appuyant les positions des grands groupes français. C’est affreux à dire mais je ne trouve rien de choquant dans cette démarche. Enfin je n’y trouverais rien de choquant si les intérêts de ces grands groupes n’étaient pas en parfaite contradiction avec l’intérêt commun et le respect des droits de chacun.

Enfin, on pourra également déplorer que les possibilités offertent par un Internet vraiment neutre à l’émergence de nouveaux acteurs et de nouveaux services aient été balayés d’un revers de main par l’approche de Bercy sur la question de la neutralité du Net. Enfin je reste convaincu que les intérêts économiques ne sont pas les seuls à avoir guidé la plume de Bercy dans ce rapport.