Rapport Colin & Collin : recherche dividende fiscal numérique désespérément

bercyFiscaliser les géants, souvent américains, du Net, n’est pas une idée nouvelle. Elle est, aujourd’hui, plus que jamais, d’actualité. Le gouvernement s’attelle donc à trouver la bonne formule pour lutter contre les optimisations un peu trop optimisées des Apple, Google ou Facebook (…). Ces derniers ont pris la fâcheuse habitude de faire beaucoup de business dans nos contrées tout en évitant soigneusement d’être imposés de manière réaliste au regard du profit qu’ils dégagent.

Pierre Collin, conseiller d’Etat et  Nicolas Colin inspecteur des finances, ont donc été nommés l’été dernier pour produire un rapport visant à proposer des pistes pour remédier à cette situation. Le bien nommé rapport  Colin & Collin a donc exploré de nouvelles pistes pour tenter de refiscaliser nos gros « optimiseurs ». Dans la ligne de mire, et il faut avouer que la piste est assez intéressante, la taxation pourrait s’indexer sur les données personnelles collectées (souvent de manière massive et franchement limite sur la forme… cf. Facebook). L’enjeu pour la France comme pour l’Europe est de faire valoir ses droits dans le cadre de conventions fiscales régissant les règles de taxation des activités, bilatéralement, entre deux états.

Initialement dévoilé par Les Echos, l’approche du rapport Colin & Collin consiste à indexer la fiscalité de ces entreprises sur les volumes de données personnelles des citoyens français qu’elles collectent et exploitent :

« mais au lieu d’appliquer aux émissions de gaz à effet de serre, cette fiscalité s’appliquerait aux pratiques de collecte, de gestion et d’exploitation commerciale de données personnelles, issues d’utilisateurs localisés en France »

Cette approche arrive alors que l’OCDE planchait déjà sur la fiscalité issue des activités du numérique. Le gouvernement semble donc avoir bon espoir de les inscrire dans la loi de finance de 2014.

Fleur Pellerin avait d’ailleurs laissé entendre que cette piste était envisagée en confiant au Monde  :

« Nous ne pouvons pas continuer à nous laisser piller ainsi éternellement. Les données de citoyens français et européens sont exploitées, à leur insu, outre-Atlantique, et rapportent des centaines de millions de dollars aux géants du net ».

La bonne approche ?

Ce n’est probablement pas la seule, mais le mécanisme de collecte et d’utilisation de données personnelles, de manière massive, à des fins commerciales, me semble une approche fort intéressante. Les modalités restent évidemment à définir, mais je dois avouer que je ne suis pas réticent à cette idée. C’est toujours moins idiot qu’une « taxe Google » sur la publicité (même si dans les fait, ça reste relativement peu éloigné, attendu que la publicité se base exclusivement sur des données personnelles collectées et exploitées). Dans le cas de Google précisément, la taxation est rendue difficile par la constellation de produits et services de la firme, en constante évolution. Les pratiques de Google en matière de données personnelles que j’avais déjà pas mal évoqué ici, me semblent un critère qui tient la route. Pour une entreprise comme Amazon ou Ebay, ce devrait être encore plus simple. Pareil pour Facebook.

Mais pour une entreprise comme Twitter qui se cherche encore un business model, il faudra bien que nous parlions d’une imposition sur les bénéfices ou le chiffre d’affaires issue des contenus générés par les utilisateurs, leurs données personnelles ou leurs « traces » comme le rapport les appelle (logs exploitables commercialement).

Le seul volume de données personnelles ne devra pas cependant pas être le seul levier, nous allons voir qu’il y en a au moins 3 autres qui peuvent être pris en compte pour une fiscalité plus équitable et incitant ces entreprises à manipuler nos données avec un peu plus retenue qu’actuellement.

Données personnelles vs infrastructure

L’épisode du AdGate de Free nous a tristement rappelé qu’Internet était devenu dans l’inconscient de beaucoup « un marché à conquérir ». L’asymétrie des volumes échangés ne signifient cependant pas qualité des données échangées et encore moins une monétisation proportionnelle au mégabit. Une vidéo Youtube en HD est elle plus rentable que les données de 2 ans de surf d’un CSP+ ? A l’approche tuyaux vs contenus, on introduit donc un paramètre fort intéressant car à forte valeur ajoutée,et donc monétisable. Concernant les données personnelles, il y a en fait 4 leviers sur lesquels nous pourrions jouer pour établir nos barèmes fiscaux :

  • La collecte des données ;
  • Le traitement des données (processing) ;
  • L’utilisation des données (exploitation) ;
  • La durée de conservation des données (rétention) ;
  • L’éventuelle cession commerciale à des tiers.

Bref encore une fois, on voit qu’on a une latitude intéressante pour répondre de manière intelligente à la guerre se jouant entre diffuseurs de contenus générés par les utilisateurs et les fournisseurs d’accès à Internet qui ont pris l’habitude de « sponsoriser » les internautes qui souhaitent accéder à ces services tout autant que les sociétés qui les délivre. Cette approche me semble donc prompt à être respectueuse des principes fondateurs du Net, comme la neutralité des réseaux.

L’imposition du volume de données sortant

Il y a quand même un point qui a de quoi rendre un peu perplexe. En cas de non collaboration avec l’administration fiscale, les entreprises pourraient se voir taxées sur le « volume de données sortant ». Là c’est un peu plus fumeux. Même si ce n’est pas la règle, ceci impliquera un dispositif de mesure du trafic sortant qui risque d’être un peu coton à mettre en place. Des accords avec les transitaires pourraient ajouter une couche d’opacité et même si ce n’est pas « impossible » , ça restera complexe à mettre en place et surtout, à contrôler. En outre c’est le meilleur moyen de mettre en place des outils dont certains abuseront en finissant par brider l’accès à certains services ou à poser des quotas sur les volumes échanger puis appliquer du packet shaping… attention donc à la mise en oeuvre. Ceci implique aussi que l’administration fiscale devra se rapprocher des fournisseurs d’accès pour que ces derniers leur fournissent en toute impartialité les chiffres de volumes échangés.

Il va également sans dire que dans ce cas précis on va vers l’officialisation de la mort du peering attendu que fiscaliser au volume, ça ne se fera pas à sens unique sans que les services en questions n’opposent contrepartie.

C’est bien ?

La piste des données personnelles est fort intéressante car les volumes collectés, l’utilisation (pour tous les services proposés, services en perpétuelles évolution), les traitements faits (cession à des tiers pour croisement par exemple) et enfin la durée de conservation, vont nous permettre de nous baser sur quelque chose de « juste », incitant ces entreprises à se conformer avec la vision européenne de ce que doit être une manipulation « saine » de données personnelles.

On sent que l’harmonisation au niveau européen pourra se faire relativement aisément puisque nous sommes déjà dotés de textes et règlement encadrant la protection des données personnelles des citoyens européens, même si ces derniers sont largement perfectibles. La fiscalité pourrait même presser les parlementaires européens à parfaire notre arsenal autour de la protection de la vie privée.

Je reste donc un peu suspendu à l’accueil que le gouvernement fera à ce rapport surtout à son éventuelle mise en place pour la loi de finance 2014, ainsi qu’à l’accueil que nos voisins européens lui feront, et dans quelle mesure ils le suivront.

Deux bien saines lecture sur le sujet à sons de cloches très sensiblement différents (thx @fano):

4 réponses sur “Rapport Colin & Collin : recherche dividende fiscal numérique désespérément”

  1. J’ai tendance à trouver ça dangereux.
    Wikipédia, entre autre, ne monétise pas ses services. Mais la fondation collecte, traite, exploite (bien que non commercialement) et conserve des données générés par les utilisateurs.

    De plus, de tels règles n’empêcheront t’elles pas demain de nouvelles innovations ?
    Il faudrait décider d’une taille injustement arbitraire sur le volume des données considérées.
    Alors même que toutes les données ne se valent pas, et qu’il y a une constante évolution de ce sujet.

    Rien ne permet d’affirmer qu’une telle règle est et restera juste pour les différents acteurs.
    Et il faut encore espérer que ces acteurs ne se détournent pas d’un marché français devenant trop contraignant.

    Vouloir contourner le contournement des règles fiscales me paraît être un jeu sans fin.

    La démarche de redressement fiscal entamé par le fisc me semble plus raisonnable.
    (voir par exemple http://www.journaldunet.com/ebusiness/le-net/google-controle-fiscal-1012.shtml pour Google)

    Peut-être que le rapport apporte des réponses à ces questions, je serais ravi de le découvrir.

    1. « Mais pour une entreprise comme Twitter qui se cherche encore un business model, il faudra bien que nous parlions d’une imposition sur les bénéfices ou le chiffre d’affaires issue des contenus générés par les utilisateurs, leurs données personnelles ou leurs « traces » comme le rapport les appelle (logs exploitables commercialement). »

      En réponse à ton message, BT y répond par une indexation sur les bénfices ou CA.

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