Sondage IFOP : Les français et l’échange de fichiers sur le Net

ifop snep : sondage piratageQuand le Syndicat National de l’édition Phonographique a besoin de se rassurer lui et les politiques qui se mordent déjà les doigts d’avoir voté HADOPI en bons godillots sans se soucier de ses conséquences catastrophiques qu’elle implique, il fait comme l’Elysée, il se paye un sondage. Il faut savoir que pour une certaine catégorie de personnes, un sondage c’est plus une action de communication qu’une demande d’information réelle et susceptible d’aider à la prise de décision. Ici les décisions sont déjà prises. Du coup, on est pas trop regardant sur la signification des chiffres et encore moins sur celle des questions, on cherche juste à ce que les chiffres appuient des thèses absurdes et que le public visé gobe sans broncher d’un hochement de tête. Le véritable objectif, ici, est de préparer les parlementaires à se voir présenter une HADOPI 3 musclée dans laquelle on collera une bonne petite pointe de filtrage … les chinois et l’ ARJEL l’ont bien fait.

Bon alors vous n’allez pas vous fouler le neurone, ça se lit en 4 minutes montre en main au bord de la plage, il y a 6 slides powerpoint (le sondage avec 10 slides était un peu onéreux et avec ces millions de pirates qui volent le pain du pauvre syndicat des éditeurs de phonogrammes, on pourra leur pardonner cette avarie d’objectivité qu’aurait permis des questions moins orientées et surtout plus pertinentes).

On commence par se rassurer (c’est le mot d’ordre ici), en demandant aux sondés si HADOPI leur fait peur. Ici les chiffres sont bien rassurants, pas de quoi s’inquiéter, vu que personne n’y comprend rien, il y a de quoi en avoir peur. Dans la tranche des plus vulnérables (50/64 ans), les moins agueris techniquement, ils sont 79% a déclarer qu’ils renonceraient à  télécharger (ça c’est jusqu’à ce qu’ils entendent parler d’autres moyens de téléchargement non soumis à la surveillance de la haute autorité mais c’est un autre débat). Sur la même question, les femmes sont 74% à déclarer qu’elles arrêteront de télécharger. Ils sont 10% de moins chez les hommes. Dans la tranche des 15/24 ans, ils ne sont plus que 60% à trouver les sanctions dissuasives.

On arrive à la question 2, d’une débilité rare et précieuse dans ce genre d’exercice, où l’on demande aux sondés s’ils sont prêts à surveiller leur connexion Internet. A question con réponse de blonde, les femmes sont 82% à se déclarer prêtes à surveiller leur connexion, contre 75% pour les hommes. Nous avons donc là soit un panel de sondés qui sort tout droit de l’Epita et qui est techniquement prêt à se taper les man page de packet filter, soit des sondeurs qui posent une question idiote du type « si vous risquez une lourde amende et la déconnexion, est ce que vous allez surveiller votre connexion »… c’est avec ce genre de question que des zozos finissent par acheter des webcams qu’ils pointent sur leur box pour voir du bureau si un pirate ne s’introduit pas chez eux pour utiliser frauduleusement leur accès.

Maintenant qu’on sait que l’internaute est terrorisé par la HADOPI (en fait c’est surtout ceux qui ne sont pas vraiment internautes qui le sont), le SNEP se demande si cette peur va motiver en eux de frénétiques envies d’achat de musique sur des plateformes légales … qui n’existent pas (et dont les principaux acteurs de ce même SNEP ne veulent d’ailleurs pas et s’entendent pour pratiquer des droits d’accès au catalogue assez élevés pour empêcher l’entrée d’acteurs autres qu’eux même sur cette filière de la distribution). Ils sont donc 66% à dire que oui, s’ils ne savent plus où télécharger, ils finiront bien par acheter. Sur ces 66%, je me demande combien d’entre eux seraient capables de citer ne serait-ce qu’une seule plateforme de téléchargement légal.

La 4e question est elle aussi assez splendide dans son genre : 46% des sondés se laissent suggérer que le filtrage des sites est une bonne réponse pour lutter contre le téléchargement illégal (quoi de plus normal dans ce genre de pannel que la moitié des sondés n’aient jamais entendu parler d’un proxy ?). 31% des sondés pensent que la pédagogie (mails d’avertissement) est une bonne réponse et 21% pensent qu’une sanction judiciaire est seule à même dissuader les internautes téléchargeurs.

La dernière question, c’est la question piège du sondage, celle qu’on vous avait annoncé depuis longtemps, celles où le SNEP avoue sans l’avouer qu’il étudie une sorte de licence globale qui ne dit pas son nom où il pourra s’en mettre plein les fouilles en s’assurant la distribution sur le Net avec des marges encore plus importantes que pour les supports physiques. Le tout au détriment des artistes à qui Jacques Attali avait pourtant prédit ce scénario. Le SNEP annonce même un prix sans se mouiller « moins de 10 euros par mois ». Contrôler la plateforme de téléchargement pour l’industrie du disque, c’est surtout contrôler la répartition et les marges qu’ils se font sur le dos des auteurs, c’est donc très cohérent. Du coup , les 50/64 ans tombent dans le panneau et se disent à 76% favorables à cette pseudo licence globale tout bénef pour les intermédiaires parasites.

En conclusion nous avons là une étude :

  • non indépendante (commanditée par le SNEP)
  • dont les questions sont résolument orientées
  • dont le but est de rassurer ceux qui n’y comprennent rien

On attend toujours que les études vraiment indépendantes cette fois ci, soient publiées et présentées au législateur avant que ce dernier n’aille se fourvoyer parce qu’un lobby qui représente des cacahuètes dans notre économie ne transforme un réseau d’une importance capitale en minitel.

Je suis particulièrement outré de la manière dont le filtrage est doucement introduit à nos politiques par le biais de ce genre de « sondage ».

7 réponses sur “Sondage IFOP : Les français et l’échange de fichiers sur le Net”

  1. Deux petites précisions :

    Il est précisé que "l'étude a été menée dans le cadre du FILIFOP, l’enquête multi-clients
    hebdomadaire de l’IFOP," un ami ayant travaillé pour l'IFOP m'a expliqué que le sondage du SNEP a été mélangé avec plus d'autres sondage de plein d'autres société (lui même m'a expliquer qu'une fois il est passé d'une question parlant de sécurité routière à une question parlant du coca dans les McDo).

    De plus l'étude précise que "Les informations ont été recueillies auprès d’un échantillon national représentatif de 1058 individus", il me semble que la moitié des français sont des internaute, donc si c'est représentatif de la "nation" alors la moitié des gens ayant répondu n'ont pas Internet.

  2. Tu parle de licence globale, mais je n'en vois aucun trace dans les questions (on parle de X plateformes de téléchargement, donc une pour telle partie de tel catalogue de tel ayant droit + encore une autre + encore une autre … Et chacun dans son coin ne peut découvrir la musique des autres …)

    Autre chose : <q>A question con réponse de blonde, les femmes … </q> Perso j'aurais éviter ce signe de machisme primaire

    1. " parle de licence globale" c'est plutôt un pseudo licence globale, tu as parfaitement raison sur un point : personne ne veut mélanger son catalogue avec celui du voisin.
      L'argument resservi à toutes les sauces, c'est qu'ils ne sauraient pas répartir le produit d'une licence "trop globales". Là c'est assez simple, s'ils controlent la plateforme de download, ils contrôle la répartition et donc les contrats qu'ils font signer aux artistes.

      Pour le machisme primaire, je m'attendais un peu à ce genre de réflexion, maintenant c'est fait. Vous avez probablement raison mais je ne suis pas non plus un grand poète à mes heures. Voir en ce "bon mot" un machisme primaire est me prêter un trait de caractère qui ne me correspond pas réellement si cela peut vous rassurer 😉

  3. Il manque un mot dans le 5ème paragraphe : "et s’entendent pour pratiquer des DROITS d’accès."
    Sinon, une très bonne analyse comme d'habitude, merci Bluetouff.

  4. Article interressant.
    malheureusement sensibilité exacerbé, ce qui rend le discours moins efficace et qui laisse planer un soupçon de subjectivité scandaleuse.

    Pourtant sur les arguments je suis 100% avec vous , autant sur la forme cela prend en parti pris ce que cela perd en calme.

    Si je peux me permetre une comparaison maladroite, Benjamin Bayart arrive à donner des outils de comprehension tout en insufflant son opinion. Ce que je ne doute pas vous allez arriver à faire.

    Cependant je trouve que vous faite partie de l’un des seul site qui parle de façon ouverte de ces sujets de société, en cela vous êtes indispensable .
    Continuez !!!
    🙂

  5. Dans la même veine « Portrait des cyber pirates du livre ». « Les réponses à notre questionnaire ont été reçues anonymement et par email. Au total, nous avons traité 15 réponses complètes (10 téléchargeurs et 5 uploadeurs) plus une dizaine de réponses partielles, auxquelles il faut ajouter des discussions sur des forums et par courrier électronique, soit 30 témoignages de pirates exploitables dans le cadre de notre enquête.de 15 personnes…
    Le PDF de l’étude http://www.lemotif.fr/fichier/motif_fichier/196/fichier_fichier_portrait_pirates.pdf

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